Août 2012 Rentrée littéraire

 

Rentrée littéraire 2012: premiers échos.

 

Avec 646 romans annoncés (contre 654 romans en 2011 et 701 en 2010), parmi lesquels 426 romans français (435 l'an passé) et à peine 69 premiers romans, (74 en 2011), cette rentrée littéraire s’adapte à  un contexte économique difficile. Après un premier semestre maussade en librairie les éditeurs ont privilégié les valeurs sûres pour limiter les risques. Seule la rentrée étrangère tire son épingle du jeu avec 220 romans programmés (219 en 2011).  Néanmoins malgré cette baisse éditoriale globale  il faudrait lire en deux mois, dix livres par jour pour épuiser la totalité des nouveautés éditoriales ! Dans ces conditions sélectionner quelques ouvrages demeure tout aussi arbitraire et frustrant que les années précédentes…  Comme chaque rentrée littéraire celle-ci est riche en vedettes (Amélie Nothomb, Sollers, Jean Echenoz, Philippe Djian ...) et en surprises, plus ou moins annoncées mais toujours impatiemment attendues. Tour d'horizon de quelques unes de ces surprises, sans ambition d’exhaustivité….

 

ROMANS FRANCAIS

 

 

 

 

Commençons par un premier roman qui pourrait bien connaître un grand succès: La Déesse des petites victoires (Anne Carrière) de Yannick Grannec, graphiste de métier, passionnée de mathématiques et de littérature qui aura mis quatre ans pour écrire les 450 pages de ce récit qui retrace à travers le regard de son épouse, la vie fascinante d'un des plus grands et hermétiques scientifiques du XXe siècle, Kurt Gödel, ** (né en 1906 et mort en 1978).

 

 

Un génie totalement décalé et novateur mais dépressif, paranoïaque et inapte à la vie quotidienne. Ses recherches sur la raison et ses limites l’amèneront notamment à énoncer à 25 ans le célèbre théorème d'incomplétude démontrant l’impossibilité de formaliser intégralement le fonctionnement logico-mathématique de l’esprit, une avancée majeure pour les mathématiques grâce à un corpus de concepts, de méthodes et de résultats dont elles continuent à tirer à ce jour une bonne part de leur substance.

Qu’on se rassure : il n’est pas nécessaire d’avoir la bosse des maths pour découvrir le parcours de ce génie méconnu et fragile, dans un siècle impitoyable. Le livre s’ouvre en 1980 à  l'Université de Princeton où une jeune documentaliste, Anna Roth, doit récupérer les archives du génie.  La tâche est moins aisée qu’il n’y paraît : il lui faut au préalable apprivoiser sa veuve Adèle, mégère assumée qui règle ses comptes avec l'establishment en refusant de céder ces documents à haute valeur scientifique. Recluse dans une maison de retraite et sachant sa fin proche Adèle impose ses règles pour raconter une histoire peu connue, celle d’’un savant inapte à la vie et d'une femme qui ne savait qu’aimer. Un couple improbablement assorti qui subit les persécutions antijuives de l'Anschluss et celles du maccarthysme, et qui connut la fin de l'idéal positiviste et l'avènement de la bombe atomique.

 

Dans la Vienne d’avant l’Anschluss une jeune fille simple et joyeuse, Adèle Nimbursky, catholique, divorcée, ancienne danseuse de cabaret, tombe folle amoureuse d’un jeune prodigue issu d’une bonne famille hostile à ce mariage. A tort car malgré quelques vicissitudes Adèle soutiendra sa vie durant un Kurt timide, peu doué pour la vie ordinaire et fort singulier :  contraint de rejoindre les Etats-Unis pour fuir le nazisme il découvrira dans sa constitution des incohérences susceptibles de transformer son régime politique en dictature! Vivant désormais à Princeton, refuge pendant la guerre et l'après-guerre des plus grands scientifiques, Kurt peu habitué à la compagnie, s’accommodera de cette période de solitude, où seules quelques relations scientifiques lui furent «agréables», comme celles qu’il entretenait avec son nouvel ami Einstein.

Un Einstein qui s’étonnait de voir Kurt passer sans frémir de Leibnitz à Walt Disney, mais qui appréciait au plus haut point sa compagnie au point d’avouer : "Je ne vais à mon bureau que pour avoir le privilège de rentrer à pied avec Kurt Gödel ». Cette belle amitié perdurera, même si certaines démonstrations mathématiques de son ami, amèneront parfois Einstein à douter de sa propre théorie de la relativité et même à accepter d’envisager la validité d’une étrange hypothèse de voyage dans le temps issue de ses équations de la relativité générale! Au fil du temps leurs trajectoires respectives divergèront…Au seuil de sa mort Gödel profondément croyant, après avoir apporté la preuve ontologique de l'existence de Dieu, s'interrogeait sur l’existence des anges et démons et les doubles, et pratiquait la télépathie. Et de plus en plus hypocondriaque et persuadé d’être victime d’un complot, il refusera de s'alimenter après la disparition de sa femme, refusant toute nourriture de peur d’être empoisonné jusqu’à mourir d’inanition en 1978.

 

Ainsi s’achevait l’existence peu commune de celui qui fut surnommé, enfant, "Herr Warum" (Monsieur pourquoi). Une existence jusqu’alors méconnue, si ce n’est par quelques livres de spécialistes et que tout un chacun peut à présent découvrir grâce à ce livre de Yannick Grannec, qui un peu à la manière de Jean Echenoz dans « Les Eclairs » retrace, par delà le parcours et la vie hors du commun d’un génie singulier les tragiques errances d’un siècle débordé. Bel hommage au génie humain et à la puissance de l'amour ce remarquable premier roman mériterait sans aucun doute, de figurer en bonne place dans l’improbable course aux prix littéraires de l’automne prochain !

 

* La Déesse des petites victoires - Yannick Grannec - Editions Anne Carrière - 450 p. - 21 euros - Parution le 23 août).

** :

 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Kurt_G%C3%B6del

http://www.laviedesidees.fr/Kurt-Godel-aux-frontieres-de-la.html

 

 

 

 

 

Quoi ? L’éternité !

 

  

Romancier, nouvelliste et dramaturge, Goncourt 2004 pour Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé excelle à inscrire ses fictions au cœur de l’histoire et des mythes. En témoigne son dernier livre, "Pour seul cortège" consacré à la mort d’Alexandre le Grand et au démantèlement de son empire parcouru du souffle épique qui a fait le succès de La Mort du roi Tsongor. Loin de la reconstitution historique d’un épisode de l’Antiquité, son livre poétique et lyrique célèbre entre violence et beauté, rêves et démence, le mythe d’un Alexandre indéfiniment vivant hantant à l’infini son imaginaire fiévreux.

 

L’emprise de la fièvre impose en effet son rythme au roman en empathie avec celle qui terrasse Alexandre en plein banquet, à Babylone, où entouré de ses généraux qui s’apprêtent déjà à se partager son empire il attend un message d’Ericléops, son frère d'arme qui des confins de l’Inde, vient lui porter un message d'espoir et de vie.  Tandis que du refuge d’un temple à l’abri du monde  Dryptéis, fille de Darius et veuve d’Héphasteion, son compagnon d’armes préféré, est rappelée auprès de l’homme qui a vaincu son père.

Tous vont se croiser, supporter cette mort, protéger sa dépouille et accompagner son esprit lors d’une ultime chevauchée en Inde, avec pour seul cortège les cinq cavaliers du Gandhara. Cinq fidèles compagnons d’armes d’Alexandre qui abandonnant l’Empire et le réel, vont s’évanouir dans le mythe au terme d’une stupéfiante bataille livrée aux côtés des guerriers morts lors des campagnes précédentes. Cet ultime combat aux rives du Gange libère enfin l’esprit d'Alexandre le Grand signant ainsi la véritable fin de son épopée et son entrée dans la légende au côté de Dryptéis. La communion de leurs esprits en un chant à deux voix est au cœur de ce livre qui transfiguré par la poésie, célèbre le mythe et l’affranchit du temps et de l’Histoire en l’auréolant d’éternité.

 

  

* Pour seul cortège. Laurent Gaudé. Ed. Actes Sud.  176 pages. 18€ .

 

 

 

Date de parution : 22 août 2012.

 

 

 Laurent Gaudé présente son roman "Pour seul cortège"

 

 

 

Romans étrangers

 

  

 

 

 

 

Une passionnante balade dans le Sud...

 

  

 

 

 

 

Le premier roman de Robert Goolrick: « Une femme simple et honnête » qui connut un grand succès lors de sa publication en 2009 avait pour thème un triangle amoureux entre Wisconsin et Saint-Louis. Son troisième roman : « Arrive un vagabond »  s'attache cette fois à un autre triangle amoureux, une plongée sensuelle et torride au coeur de la passion, en 1948 dans le petit hameau de Brownsburg en Virginie où quelques centaines d’âmes vivent dans la crainte d’un Dieu plutôt bienveillant. Un village du sud ordinaire  où les noirs vivent à l’écart et où les étrangers sont accueillis avec méfiance, comme Charlie Beale, un homme du Nord de 39 ans, qui de retour de la guerre en Europe y arrive chargé de deux valises, l'une contenant quelques affaires et des couteaux de boucher, l'autre une importante somme d'argent. Un étranger solitaire et énigmatique dont l’histoire ne sera jamais dévoilée mais qui sous son allure avenante demeure un homme désespéré à l’âme enfantine et contemplative s'émerveillant de «l'immensité du ciel, bien que trente-neuf ans sur la planète aient chassé toute poésie hors de lui."

 

 

Boucher de métier Charlie est embauché par un gars du coin, un bon chrétien tout comme son épouse, qui tous deux raffolent de leur unique enfant de 5 ans, Sam, avec lequel Charlie se lie d'amitié. Dans la boucherie familiale Charlie va progressivement rencontrer les habitants du village, et notamment Boaty, citoyen riche et peu sympathique de Brownsburg et surtout son épouse Sylvan Glass, une belle adolescente, que Boaty a littéralement acheté à ses parents pauvres en échange de la sécurité financière. Sans aucune éducation Sylvan a forgé son identité à partir des magazines de cinéma et des films d'Hollywood. Charlie va en tomber instantanément amoureux entamant avec elle une liaison torride qui se mue en passion dévorante menaçant de détruire tout et tous sur son passage Le jeune Sam est leur couverture, devenu adulte, toujours marqué par cette histoire il s'en fera le chroniqueur, le vrai narrateur de ce roman rappelant en première ligne "Tout souvenir est une fiction… ». Ce décalage entre les événements qu’il a vécus et leur interprétation est au cœur de ce livre. En bon sudiste, le passé est pour Sam aussi réel que le présent, comme dans l'une ces vieilles ballades du Sud, si chères à Faulkner.

 

Plus lyrique Goolrick fait d'abord lentement progresser son récit en un style vif et douloureux parcouru d'émotions intenses et poétiques qui exacerbent une tension sous-jacente qui finira par déboucher sur un paroxysme violent. Il excelle à saisir les états d'âme successifs de ses trois personnages principaux qui tous ont été maltraités d'une manière ou d'une autre dans l’enfance et qui adultes, écartelés entre péché et pardon, secrets et mensonges, mémoire et oubli, tentent désespérément de revenir à l'innocence primordiale. Bien que réunissant ainsi tous les ingrédients d'une tragédie délicieusement sombre et envoutante Goolrick réussit en même temps à célébrer toute la joie et la beauté du monde avec un livre qui est aussi un conte poétique et qui empreint d'un indicible pressentiment, se muera progressivement en un insoutenable suspens. Un savant alliage pour l'ouvrage finement ciselé d'un écrivain de fiction au sommet de son art.


 

 

 

* arrive un vagabond. Robert

 

Goolrick. Ed. Anne Carrière. 320 Pages. 21,50 Euros. Parution le 23 Aout 2012.

 

 

 

Chronique d’un naufrage familial annoncé…

 

Mississippi, en 2005 : une famille pauvre et noire est sur le point d’être dévastée par Katrina, l'un des ouragans les plus meurtriers de l'histoire des États-Unis. La famille vit dans le quartier de « Bois sauvage», titre du livre qui a valu à son auteur, Jesmyn Ward, trente-cinq ans, le National Book Award 2011, pour cette rude et émouvante chronique d’un naufrage familial, à l’inspiration profondément sudiste, dans la lignée de McCullers, Flannery O'Connor, ou Faulkner...

Depuis que sa mère est morte en couches, Esch, quatorze ans, grandit dans un monde d'hommes dont elle doit s’occuper: son père Claude, ses deux aînés, Randall et Skeetah, et Junior, le petit dernier. Pour oublier sa solitude leur père survit entre petits boulots, bière et accès de colère et ses frères peinent  à trouver leur place après la perte de leur mère. En déshérence ils vivent dans une maison délabrée au milieu d’une propriété familiale qu’ils ont transformée en décharge. Perdue dans ce monde masculin, Esch se cherche, couche pour faire plaisir aux copains de ses frères avant de tomber amoureuse de Manny dont elle est bientôt enceinte dans l’indifférence familiale. Ses frères vaquent à leurs occupations ordinaires et souvent dérisoires : l’un est uniquement préoccupé par son pitbull, l’autre par ses matchs de basket, tandis que le petit dernier traîne en recherche d'attention. Bientôt femme et mère Esch, en quête de modèle, se réfugie dans la mythologie grecque jusqu’à rêver de sa mère sous les traits de Médée. Et une menace nouvelle s’annonce : celle d’une tempête gigantesque qui va emporter une famille déjà mal en point …

Une émouvante chronique familiale noire écartelée entre pauvreté rurale et déshérence sociale écrite en empathie par Jesmyn Ward elle-même issue d'une famille nombreuse et modeste, dans une communauté majoritairement noire du Mississippi.

Survivante de Katrina, elle aussi a dû survivre à la tempête et à la terreur tenace qu’elle inspire avant d’entamer un difficile processus de reconstruction en forme de rédemption. D’où ce livre à la fois lyrique et naturaliste, délicat et puissant dont l’écriture s’accorde fidèlement aux événements qui secouent la famille: calme relatif précédant la tempête puis sauvagerie des éléments, à l’image de celle dans laquelle vivent Esch et sa famille. Une poétique métaphore transfigurant cette chronique bouleversante, violente et intense d’un naufrage annoncé en un livre bouleversant qui, bien que d’inspiration profondément sudiste, est universellement humain…

 

* Bois sauvage . Jesmyn Ward. Ed. Belfond.  352 pages. 19,50 € . Parution : 23 août 2012.

 

 

 

Parmi les livres de cette rentrée deux auteurs américains Richard Powers et Jonathan Dee désenchantent le grand rêve américain. Avec Gains Richard Powers ausculte l'influence du libéralisme sur la vie quotidienne et les destinées individuelles causées par les contradictions de la société de consommation, tandis que Jonathan Dee avec La fabrique des Illusions dénonce la publicité et ses mirages. Deux livres qui ont en commun une construction  entrelaçant avec talent trajectoires individuelles et collectives au service d’une salutaire réflexion sur notre monde contemporain…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une instructive odyssée du savon….

 

 

 

Avec ses ouvrages explorant les relations entre sciences, technologies et littérature Richard Powers, auteur de dix romans à succès, a remporté les distinctions littéraires les plus prestigieuses aux Etats-Unis. Parmi ceux-ci  « Gains » dénonce les contradictions de la société de consommation au terme d’une étude très documentée de l'histoire économique et sociale américaine, dans la lignée d’auteurs tels que  Pynchon, DeLillo, Franzen et Rick Moody… tous persuadés que le sol américain contaminé par des décennies d’exploitation fera tôt ou tard payer cher aux citoyens américains les péchés et les inconséquences de leurs pères.

 

 

 

Pour appuyer sa démonstration Richard Powers a subtilement créée une  fiction en double hélice, savant parallèle entre une personne morale, l’entreprise familiale Clare, qui rencontre des  problèmes écologiques liés à son expansion et une personne physique, une mère de famille,  victime  des effets de cette expansion en raison des rejets de déchets toxiques des usines Clare qui ont fini par imprégner les sols.

 

 

Clare Inc était à l’origine une petite entreprise familiale américaine de savon créée en 1830 à Boston par trois frères qui connurent le succès grâce à fabrication et la vente de chandelles et du savon, jusqu’à  devenir au fil des années, une multinationale de la chimie. En retraçant son histoire  Richard Powers relate précisément un siècle et demi d'histoire de l'entreprise et du capitalisme américains de ses origines à nos jours : mentalité des premiers pionniers, évolution du syndicalisme, du management, de la publicité et de la communication. Une histoire  très documentée voire technique, on n’ignorera rien par exemple des processus de fabrication des bougies, du savon, des pesticides ou encore du whisky… Au terme de son évolution la direction de la société Clare, avant tout préoccupée par son expansion, se montre peu soucieuse de la répercussion de sa croissance sur la santé des populations voisines dont elle empoisonne les sols, un bien curieux paradoxe pour une société qui vend de la propreté !

 

 

 

Parmi les victimes intoxiquées Laura Brodey, mère de deux enfants, agent immobilier exerçant dans la petite ville de Lacewood, Illinois, lieu de production des usines Clare. Son existence et celle de la multinationale vont converger d’une façon inattendue. Lorsque Laura découvre qu'elle développe un cancer des ovaires dû aux déchets toxiques des usines Clare elle devient une victime révoltée par l'idée de fatalité. Ce qui est aussi une bien mauvaise publicité pour l’entreprise qui voit baisser ses cours en Bourse la rendant vulnérable à des prises de contrôle extérieures. 

 

 

Cancer ou capitalisme ? Ce parallèle entre une personne morale et une personne physique permet à Richard Powers d’interroger notre modernité à rebours des discours des idéologues annonçant la fin de l'Histoire avec la mort de l'Union soviétique  et l’irrésistible triomphe du capitalisme ultra libéral.  En s’attachant aux conséquences néfastes du libéralisme sur l’environnement, la vie quotidienne et les destins individuels « Gains » dénonce les illusions et l’auto satisfaction béate des thuriféraires du système.

 

A la fois subtil, provocateur et puissant, d’un abord faussement simple, le roman de Richard Powers s’avère terriblement efficace dans cette mise en garde des citoyens sur les conséquences de leurs consommations. C’est sans doute la raison pour laquelle son livre a été sélectionné aux Etats-Unis parmi les dix romans les plus susceptibles de changer définitivement leur vision et leur place dans ce monde. De fait après sa lecture il devient impossible de regarder une barre de savon de la même façon !

 

 

 

* Gains . Richard Powers. Ed. Le Cherche Midi. 830 pages. 22 Euros. Parution : 22 Août 2012.

 

 

 

Miroir aux alouettes.

 

 

 

Deuxième roman traduit en français de Jonathan Dee « La fabrique des Illusions »,  paru aux États-Unis en 2002 traite de la publicité et de ses mirages qui désenchantent le rêve américain. Un miroir aux alouettes reflétant les désillusions d’une Amérique tendu par un Jonathan Dee,  dans la lignée de Jeffrey Eugenides, DeLillo,  Richard Russo, et bien sûr de Richard Powers avec lequel  Jonathan Dee recourt à la même structure narrative, un chassé-croisé génial de personnages, qui entre réalité et satire, évoluent sur fond d’une gigantesque machine à rêves : celle de l’Amérique des années 1980-1990...

 

Le roman commence en effet dans les années 1980 où Molly Howe enfant puis jeune fille admirée de tous et adulée par ses parents,  particulièrement par sa mère, rêvant pour elle d’une carrière de top model, est inconsciente de son pouvoir de fascination. La jeune fille semble insaisissable jusqu'au jour où elle est impliquée dans un scandale avec un homme marié. Désormais indésirable dans la petite ville de son enfance, elle apprend à gérer ses émotions et s’enfuit à Berkeley où elle rencontre John Wheelwright, étudiant en histoire de l’art, immédiatement fasciné et consumé d'amour pour la belle qui disparait bientôt en raison de sa fragilité émotionnelle.
Dix années plus tard à New York John débute avec éclat sa carrière dans la publicité, et bientôt repéré par Mal Osbourne, gourou publicitaire visionnaire et excentrique, il partage un défi révolutionnaire : tuer la publicité pour sauver la création. Mais John n’avait pas imaginé que dans le sillage d’Osbourne reparaitrait Molly plus insaisissable que jamais, qui l’avait laissé exsangue quelques années plus tôt…

 

 

 

Cette relation entre Molly et Jean permet à Dee de mêler adroitement  sphère intime et sphère politique, de décrypter les relations incestueuses entre art et commerce et de dénoncer les ambiguïtés morales incontournables d’une vie moderne dans laquelle langage, sensation, et perception ont pour source essentielle les médias. Dès lors s’interrogeant sur le véritable rôle du marketing et la nature du  «message», Dee souligne l'importance de la signification: ce qui est réel semble toujours hors de portée de notre consommation effrénée, c’est un monde d’images qui accouche des désillusions d’aujourd’hui. D’où le titre du livre, critique sociale et drame intimiste dans lequel l'homme, écartelé entre l’aliénation de la famille américaine et celle de la publicité, demeure définitivement solitaire dans sa quête désespérée d’amour et d’authenticité. Un récit captivant pour se distancer de ce flot d’images qui nous bombardent jour après jour.

 

 

 

* La fabrique des illusions. Jonathan Dee. Ed. Plon. 448 pages. 22,50 € . Date de parution : 23 Août 2012

 

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Regarde les hommes tomber…

 

 

Le bruit des choses qui tombent  dernier roman de Juan Gabriel Vásquez, exilé de Colombie à l’âge de vingt-trois ans, lui a valu succès et reconnaissance en Espagne (avec le prestigieux prix Alfaguara) et en Amérique Latine. Par-delà l’histoire de quelques individus c’est toute l’histoire du peuple colombien, subissant depuis les années 1970 trafic de drogue, violence, attentats politiques, terrorisme des cartels, qui tristement apparaît dans ce livre. Une Histoire violente en deux histoires d’amour liant intimement passé et présent pour un lourd passé qui ne pouvait que marquer durablement toute une génération contrainte de payer pour les crimes de ses ainés.

 

 

Dans la Bogotá corrompue et violente des années 1980, un jeune professeur de droit, se lie d’amitié avec un homme mystérieux qui le fascine. Lorsque ce dernier est assassiné, le jeune professeur va enquêter jusque dans les années 1970, à l’époque de la guerre du Vietnam, des Corps de la Paix, du Cartel de Medellín, au début du narcotrafic colombien confrontant de jeunes idéalistes aux débuts du trafic de drogue.

 

Loin du réalisme magique d’un García Márquez, Vásquez choisit d’aborder cette histoire par l’intime. Et de rebondissements en surprises, ses différents récits reliés par l'amour et la passion évoquent les séquelles de la violence sur toute une génération durablement marquée des « cicatrices laissées sur le corps par la violence et la corruption, des cicatrices autant métaphoriques que littérales… ». Une génération qui a grandi « avec l’angoisse et la peur, sachant toujours où étaient les cabines téléphoniques pour pouvoir appeler si une bombe explosait, pour dire qu’on est en vie »… Difficile d’oublier…De ses fantasmes et ses peurs enfouis au plus profond de sa conscience durant une quinzaine d'années Vásquez a tiré la substance de ce livre, reconnaissant que  comme citoyen et comme écrivain, son pays demeure son obsession…

 

* Le Bruit des choses qui tombent. Juan Gabriel Vásquez. Ed. du Seuil. 304 pages. 20 € TTC. Date de parution 23/08/2012 .

 

extraits:

http://www.seuil.com/extraits/9782020985017.pdf

 


En hommage à Michel Polac…

 

 

1987 : privatisation de TF1 et fin prévisible de “Droit de réponse”. Motif invoqué : ce dessin de Wiaz… Un prétexte pour Bouygues, pour se débarrasser d’un Polac encombrant...Et la fin d’une certaine télévision au profit d’une entreprise de vente de cerveaux disponibles…

 

Sur l’homme, l’écrivain, l’animateur, le critique littéraire... on ne serait mieux dire que ce qu'en a dit Pierre Assouline qui l’avait bien connu,   sur son blog :

http://passouline.blog.lemonde.fr/2012/08/08/michel-polac-la-reussite-dun-ecrivain-rate/#xtor=RSS-32280322

 

 

 

 

 

 

 



23/07/2012
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