décembre 2005

- décembre 2005

Connaissez vous Albert Cossery ?

Albert Cossery est un écrivain peu connu, probablement parce qu'il n'a sacrifié à aucune des compromissions de notre temps. C'est sans doute aussi la raison pour laquelle ses livres n'ont pas été des best-sellers, mais ont néanmoins été constamment réédités et échangés entre initiés avec des mines de secrète connivence. Joli cadeau: en cette fin d'année Joëlle Losfeld lui offre sa propre «Pléiade» : deux volumes rassemblant ses œuvres complètes, drainant toute une foule qui hante depuis toujours les rues du Caire: prostituées, mendiants, poètes saltimbanques, hommes-tronc et brigands humanistes. Avec tendresse et pitié mais sans illusion Cossery en a raconté la misère, les ruses, l'émouvante bêtise, mais en a aussi célébré la générosité et la poésie.Des oeuvres comme autant de fragments amoureux d'une grande fresque placée sous le double signe de la désobéissance et de la paresse.

Entre Orient et Occident Albert Cossery égyptien d'origine écrit en français, pense en arabe et vit à Paris dans une petite chambre d'hôtel à Saint-Germain-des-Prés depuis 1945 date à laquelle il quitte définitivement l'Egypte. Entre les « Deux Magots », le jardin du Luxembourg et la fontaine Saint-Michel il construit alors son univers: Les Fainéants de la vallée fertile-- Mendiants et orgueilleux, Une ambition dans le désert, Un complot de saltimbanques, tout un monde rassemblé en une obsédante et commune déambulation au long des rues du Caire, en opposant ses personnages de canailles et de parias attachants (certains diraient de racailles !) aux bourgeois et bourreaux de travail ordinaires. Au total huit livres en soixante ans, huit livres magnifiques écrits par un dandy paresseux, tous peuplés des fantômes loqueteux de sa jeunesse qui hantent encore à quatre-vingt-douze ans son cœur et son esprit.

L'œuvre de Cossery est un monde qui se suffit à lui-même. Pour y entrer on peut commencer par lire «Mendiants et orgueilleux », son livre le plus connu et le plus emblématique car porteur de toute la sagesse de son auteur. Un auteur qu'il est impossible de ne pas se représenter sous les traits de Gohar, mendiant par vocation ayant définitivement tourné le dos à l'Université et au pouvoir pour lui préférer d'incessantes déambulations sous l'emprise du hachisch dans les ruelles sordides, les garnis miteux et les bordels du Caire qui sont les vraies écoles de la vie puisque désertées par l'imposture et l'hypocrisie des bourgeois détestés, et abritées de l'obscénité bouffonne du monde.

Le cheminement dans les ruelles permet ainsi d'aller à l'essentiel et à l'insaisissable, grâce à une forme de résistance permanente par la pratique de l'inertie volontaire. Et dans ces ruelles, véritables cours des miracles se presse toute une foule de personnages secondaires qui vocifèrent, mendient, volent et s'interpellent... Tout un monde dont Cossery sait dépeindre l'allure, les gestes et en faire entendre les rumeurs et les cris, les voix et les interpellations pour les mêler en un étrange rêve éveillé. Rêver.. .dormir...

«Dormir» c'est la préoccupation principale des «Fainéants dans la vallée fertile» des fainéants regroupés dans une maison bourgeoise dans laquelle toute une famille consacre sa vie à dormir comme le fait l'auteur qui affirme volontiers qu'il n'a jamais travaillé et que dormir est avant tout pour lui une forme de refus ! Il est ainsi le double de Serag, le héros du livre« qui n'avait jamais vu un homme travailler, en dehors de ces métiers futiles et dérisoires qui n'avaient dans son esprit aucun attrait valable.».

Dormir est donc l'une des manières de vivre à l'écart du monde et de mettre de la distance entre soi et le monde et son progrès matériel toujours suspect, puisque le «progrès spirituel» a déserté !

Pour Cossery l'essentiel n'est pas l'intrigue souvent sommaire, mais la manière dont il met en scène ses personnages. Dans: «Les hommes oubliés de Dieu », tout un petit monde de vagabonds et de marchands ambulants s'apostrophent dans une langue poétique, et s'invectivent avec un humour et une verve communicatifs. Ces nouvelles, publiées lorsqu'il n'avait que vingt-sept ans, constituent en quelque sorte les premières touches d'un grande fresque qui s'achèvera avec son dernier roman publié: « Les couleurs de l'infamie », dont le héros, sorte d'Arsène Lupin cairote ne s'en prend (élégamment) qu'aux riches: «Il n'y a rien de plus immoral que de voler sans risques. Le risque, c'est ce qui nous différencie des banquiers et de leurs émules qui pratiquent le vol légalisé sous le patronage du gouvernement. . .». Avec ces dernières touches soigneusement choisies sur sa palette Cossery achève ainsi sa fresque, joli paravent excellant à dissimuler les plus obscènes images d'un monde souvent chaotique. Le tout en 1200 pages ce qui n'est quand même pas mal pour un dandy paresseux déclaré!

Albert Cossery Œuvres complètes. Deux tomes. Ed Joelle Losfeld. (600 pages environ chaque). 22,50 euros par tome.

Pâtisseries littéraires

Loin des caddies débordant de « Da Vinci Code », voici un bel assortiment de délices littéraires proposé par Charles Dantzig auteur gourmet et gourmand s'il en est! Certes il faut aimer la littérature pour apprécier ce régal d'érudition légère, émaillé d'insolences assumées et souvent mordantes contenues dans ce livre presque trompeusement intitulé «dictionnaire égoïste de la littérature française ». Un dictionnaire? Pas vraiment! Un dictionnaire classique se contenterait de proposer une suite d'entrées par auteur. Ici tout est dédié au plaisir, à la flânerie en une suite de déambulations gourmandes, papilles en éveil et nez en l'air au gré de ses curiosités et des rencontres de hasard, toutes en digressions et décantations. Ces chemins buissonniers ont des balises parfois fort déroutantes classées de A (comme «action») à Z comme «zoo: «Eh bien, les enfants, c'est l'heure de la fermeture. Mon troupeau d'écrivains s'en va rentrer à l'étable, et mes lionnes d'idées rôder de nuit dans la savane.» Les entrées de ce singulier dictionnaire varient: auteurs connus (ou pas), classiques, figures de rhétorique, concepts sociologiques, œuvres lues ou qui pourraient l'être davantage, ou secrètes, ou égarées, voire disparues, ou introuvables. D'Aragon à Zola, les écrivains sont croqués, commentés et racontés comme on le ferait à propos d'amis plus ou moins proches. C'est savant, savoureux, parfois de mauvaise foi, bref en un mot remarquable! Dantzig, fin styliste, fourmille d'informations cocasses et de remarques croustillantes. Oublieux de la chronologie il dialogue avec Platon, questionne Montaigne, chahute Hugo, révère Stendhal, se déclare pour Balzac, ressuscite Laforgue ou Théophile de Viau. Et au fil des pages se confie au lecteur, l'interpelle, le prend à témoin, lui confie ses regrets, ses doutes, l'enjoint de fuir les balourds et les appliqués, bref revendique les seuls partis pris du plaisir et de la liberté.

Pourquoi ce titre? «dictionnaire égoïste « ? «Egoïste, c'est une façon d'assumer mes choix.». Mais il eût pu le titrer de bien d'autres mots en somme! «Dictionnaire partial, subjectif, amoureux, audacieux, inconscient, présomptueux, brillant, drôle, élitiste, jouissif, ou « essai d'esthétique », ou mieux encore: «tentative d'autoportrait en forme de lettre d'amour aux auteurs ». Un amour qui n'est pas aveuglement. Car notre homme sait discerner sans concessions, et distinguer entre grands et petits, bluffeurs et génies. Avec une insolence à la Nimier, un style à la Morand dont il partage le goût de la formule concise, il dissimule sous une apparente facilité un vrai travail d'artisan confronté à la solitude et aux doutes, tout en polissant son ouvrage avec ardeur, âpreté, courage, et...corrections innombrables. C'est que Dantzig prix Nimier 2001 pour «Nos vies hâtives » a tout lu, même les livres ratés auxquels il a le bon goût de consacrer une entrée! Toute une vie de lecture, soit plus de 5 000 ouvrages qui l'obligent à acquérir des caves pour les entreposer!

«Ma maniaquerie de la littérature, commente-t-il, est une forme de contestation de la vie. La vie est mal foutue, pleine de répétitions, de rencontres assommantes, de paroles inutiles, de moments perdus. Si la vie se présentait sous forme de manuscrit, elle serait refusée.» La littérature au contraire est bien vivante, et elle appartient à tous, car "Tout le monde écrit bien, sauf les écrivains. . .la littérature n'est ni bien écrite, ni mal écrite: elle est écrite."

Dictionnaire égoïste de la littérature française. Charles Dantzig. Ed. Grasset. 968 pages. 28,50 euros.

Un homme, un roi, son peuple

Le « Louis XIV» d'Olivier Chaline constitue une passionnante tentative de synthèse en 800 pages du plus long règne de l'histoire de France. Grand spécialiste de la période l'auteur vise le grand public sans renoncer à la nécessaire rigueur qui sied à l'historien. Il revisite les soixante-douze années du règne de Louis XIV, recourrant aux témoignages les plus divers qui constituent autant de points de vue permettant d'en prendre l'exacte mesure au rebours de bien des idées reçues. Car ce règne multiple et divers méritait à tout le moins que l'on nuance ou que l'on revienne sur bien des idées reçues. Le règne de Louis XIV fut souvent à mille lieues de l'absolutisme roide que nous imaginons. Et si au fil des pages de ce livre surgissent la personnalité exceptionnelle du roi, et l'emprise grandissante de son État on perçoit également les difficultés qu'il a éprouvées pour imposer un pouvoir qu'on a un peu trop rapidement qualifié d'absolu. Un pouvoir dont les Français surent à la fois tirer profit tout en tentant de s'en protéger, voire d'y opposer des résistances trop longtemps sous-estimées.

Le Règne de Louis XIV. Olivier Chaline. Éditions Flammarion. 808 pages. 29 Euros.



Le temps des cerises...

Décédé en 2003 Georges Coulonges était tout à la fois romancier à succès et auteur de nombreuses chansons, (pour Jean Ferrat, Michèle Torr, Gloria Lasso, et bien d'autres) aux textes engagés (Potemkine par exemple) ou romantiques et populaires. Il était aussi un auteur qui excellait à mettre en œuvre les gens de modeste condition dans ses œuvres. En témoigne « Les boulets rouges de la Commune » relatant les tristes heures de La Commune, lorsque dans un Paris assiégé par les Prussiens ses habitants se battaient contre le froid et la faim, achetant à prix d'or du chien, du chat... puis du rat, tandis que les plus riches mangeaient les animaux du Jardin d'Acclimatation. Jusqu'à ce 18 mars 1871, où affamée, humiliée, révoltée, la capitale proclame la Commune qui devait succomber deux mois plus tard agonisant sous la plus sauvage des répressions et emportant avec elle tant de grandes espérances dont celles des personnages de ce livre (hélas par trop archétypiques). Il nous en reste néanmoins cette vivante chronique au jour le jour traversée de personnages illustres, et porteuse du deuil de tant d'espoirs si tragiquement brisés.

Les boulets rouges de la Commune. Georges Coulonges. Ed Presses de la Cité. 325 pages. 18;90 euros.


Le silence apprivoisé

Un sourd qui parle? Certes mais quelle obstination et quel courage a-t-il fallu pour en arriver là? Ce livre est le récit d'un combat, celui de Jean-Max Coudon qui à quatre ans à la suite d'une méningite, est entré dans le monde du silence. A soixante ans il est toujours sourd profond mais est parvenu à mener une vie «normale ». Entre temps il a compensé son handicap en développant ses perceptions tactiles. Et mieux encore il a inventé un appareille «vibravoice » (qu'il cherche à commercialiser) pour que comme lui, tous les sourds puissent enfin parler et entendre.

Témoignage en forme de récit d'un combat, ce livre est aussi un message d'espoir, et un plaidoyer en faveur d'un changement profond des méthodes d'éducation pour les enfants sourds.

Le silence apprivoisé. Jean-Max Coudon. Ed. Anne Carrière. 270 pages. 18 euros.

SELECTION POCHES

Un étonnant premier roman d'une jeune auteur(e) née en 1945. Hélène Millerand met en scène une jeune et belle héroïne fille mère, Bénédicte Diot, fille mère et donc paria d'une bonne famille versaillaise militaire, patriote et ardemment catholique, bientôt contrainte de «se placer» dans une famille juive bourgeoise du XVII ème arrondissement, après avoir confié son enfant à une institution religieuse. Promue gouvernante de cette famille, notre héroïne très « vieille France » regarde vivre sans complaisance cette famille de juifs riches et insouciants qui heurte bon nombre de ses principes. Au fil du temps elle s'attache progressivement et témoigne d'une totale abnégation à une famille que la seconde guerre mondiale et son cortège de misère et d'infamies va durement éprouver.

En cette période crépusculaire la belle gouvernante va faire preuve d'un grand courage et d'une tenace détermination pour sauver une famille devenue d'une certaine façon, la sienne. Héroïne discrète et secrète, elle en deviendra un magnifique et invisible pilier qui l'aidera et la protégera dans la tourmente.

Ecrit avec beaucoup de retenue et de maîtrise le style d'Hélène Millerand n'est pas sans évoquer certains textes de Marguerite Yourcenar. Entre pudeur féminine et maîtrise du non-dit, l'on devine souvent le cœur du personnage qui palpite parfois follement au rythme des lignes d'une narration empreinte de sérénité et d'un apparent détachement.

Un roman passionnant d'un «jeune » auteur prometteur dont attend impatiemment le prochain ouvrage!


On m'appelait vieille France. Hélène Millerand .Ed J'ai lu. 158 pages? Cat. F

Culture pour tous...

Un petit mot pour un grand coup de chapeau à la collection Librio qui édite des petits ouvrages remarquablement faits dont il est souvent difficile de rendre compte ici, faute de place. Créée en 1994 avec pour vocation l'édition de textes de qualité accessibles à tous (au prix unique de 2 euros), la collection Librio tentait un pari très ambitieux qui reposait sur l'idée que la littérature classique et contemporaine avait sa place dans la culture populaire. Un pari réussi puisque très vite, les lecteurs ont suivi et qu'aujourd'hui le catalogue de la collection compte près de 500 titres tous genres confondus, le tout s'organisant en treize séries: de la Littérature sous toutes ses formes, à la Musique, aux BD, et à la Cuisine et la Santé.

Parmi les dernières parutions de Librio saluons en particulier celles de la série Memo qui propose des ouvrages de référence rédigés par des spécialistes et qui compte notamment un petit traité sur les figures de style, véritable bible concise et bien faite sur la rhétorique . Ou bien encore dans la collection Musique un remarquable petit guide de la musique classique accessible aux non-initiés, ou bien enfin dans la collection Littérature, une passionnante anthologie de la littérature nord-américaine.

Quelques exemples parmi les parutions récentes de Librio qui au fil des parutions (50 à 60 nouveautés par an) permet de se constituer une véritable encyclopédie composée de textes de qualité accessibles à tous et ceci à moindre coût. Un bel effort de démocratisation du savoir qu'il convenait ici de saluer !

Vient de paraître

« Ensemble, c'est tout» d'Anna Gavalda a reçu un très bel accueil dès sa sortie aux Éditions Le Dilettante, principalement auprès d'un public de jeunes adultes qui se sont spontanément identifiés à cette histoire d'amour entre quatre éclopés de la vie: bons à rien, cabossés, et cœurs purs, qui n'auraient jamais dû se rencontrer mais que le Destin rassemble pour s'entraider en une étrange application de la théorie des dominos, une théorie inversée car au lieu de se faire tomber l'un l'autre, chacun aide l'autre à se relever.


Ensemble c'est tout. Anna Gavalda. Ed. J'ai Lu. 574 pages. Cat. N




15/02/2009
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