septembre 2010

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Rentrée littéraire 2011: beaucoup d'auteurs français, peu de premiers romans et quelques poids lourds...

 

Comme chaque année nous serons submergés par la vague éditoriale de cette nouvelle rentrée avec 701 nouveautés (contre 659 l'an passé) dont 497 romans français. Les éditeurs ont parié sur des valeurs sûres plutôt que sur des premiers romans. On retrouvera donc sans surprise les locomotives habituelles de la rentrée: Houellebecq, Nothomb, d'Ormesson et les autres....Le coup de départ de cette rentrée étant le 19 août, il ne peut être question, à l'heure où nous mettons sous presse de prétendre à l'exhaustivité. Parmi les livres déjà sortis voici donc une sélection de coups de cœur soumis à la sagacité et au bon goût des lecteurs. Bonnes lectures de rentrée !

 

    L'heure de la montagne...  

 

(Jean-Marie Blas de Roblès prix Médicis 2008 pour Là où les tigres sont chez eux , dont nous avions rendu compte ici même) nous revient avec un roman plus court et plus dense la montagne de Minuit.

                  Son personnage principal est Bastien, gardien effacé d'un lycée de jésuite à Lyon, secrètement féru de culture orientale qui à l'occasion d'un changement de direction Bastien apprend qu'il est renvoyé en fin d'année scolaire. Dans le même temps il noue une amitié avec Rose, une nouvelle locataire de l'immeuble. Solitaire, vivant dans un ascétisme volontaire, Bastien fascine la jeune mère, qui pour le remercier d'avoir dissipé les terreurs de son fils, Paul va lui permettre d'accomplir le voyage de sa vie à Lhassa, au Tibet. Avec Bastien, Rose revisite sa propre vie et sa mémoire hantée par une vieille histoire de guerre. Son fils entreprend la même exploration par les voies incertaines du roman.

 

 S'ensuit un récit à deux voix dans lequel les souvenirs de Rose répondent à ceux de Paul, devenu adulte pour un voyage au bout de la vie et au-delà de la mort. Vérités et mensonges, fautes et rédemption…chaque personnage chemine dans le brouillard opaque des mensonges, mythes et faux-fuyants, qui les aident à supporter la vie.

Jean-Marie Blas de Roblès jouant avec brio de cette incertitude fondatrice entretient le doute, et multiplie allégrement les fausses pistes déroutant son lecteur égaré dans un monde hésitant entre rêves prémonitoires et mythes plus réels que le réel. Demeure l'évidence des mots et des images vivantes et colorées du Tibet et un vibrant plaidoyer final sur la responsabilité de la littérature face à l'Histoire qui, seule, peut démêler le vrai du faux, en rejetant les mythologies occultes. Et la clairvoyance, face à la montagne de Minuit, Bastien meurt, victime d'une overdose de lucidité. Il y a certains états d'évidence dont on ne se remet pas.

 

*La montagne de Minuit . Jean-Marie Blas de Roblès. Ed. Zulma.168 p.16,50 €.

 

 

 

Quand Henry rencontre Henry…

Béatrice et Virgile de Yann Martel est en partie un conte d'animaux, tout comme l'était Pi, véritable best-seller mondial. Cette fois, Henry, auteur autrefois adulé, se voit magistralement refuser par ses éditeurs un manuscrit sur lequel il a travaillé pendant cinq ans. Sa déception est à la mesure de l'ambition de son projet: représenter l'Holocauste non pas avec des faits historiques mais avec un livre à double entrée: une fiction narrative et un essai, laissant au lecteur la liberté de commencer sa lecture par l'un ou l'autre des deux textes.

 

Face au refus catégorique qui lui est opposé Henry abandonne toutes velléités d'écriture, jusqu'au jour où il reçoit un paquet contenant une scène d'une pièce écrite à partir d'un conte de Flaubert. Son auteur, un taxidermiste fort étrange, y met en scène deux personnages beckettien, Béatrice et Virgile, une ânesse et un singe empaillés souffrant tous deux d'une persécution atroce des humains. L'envoi est accompagné d'un mot lui demandant son aide. Henry rencontre Henry et accepte de l'aider, intéressé par ce recours possible à l'anthropomorphisme pour évoquer l'Holocauste. Ainsi se noue une relation sans cesse plus complexe jusqu'à ce que survienne une catastrophe inattendue…

Sous les apparences d'une comédie dantesque drôle et terrifiante, entre absurde et clins d'œil littéraires, Yann Martel questionne gravement l'écriture, le devoir de mémoire, et explorant les frontières poreuses entre autobiographie et fiction, histoire et mythe, s'interroge sur la fonction de l'art dans la représentation historique. Et exauce le vœu de Kafka: écrire un livre tel une hache pour fendre la mer gelée en soi…

 

* Béatrice et Virgile. Yann Martel. Ed. Flammarion. 224 p. 19 €.

 

  

 

...Nous avons tous des sentiments et des désirs,  mais seuls les sauvages acceptent de les assouvir...

 Désirer de l'écrivain australien Richard Flanagan  présente deux récits parallèles dans l'espace et le temps, entre la Tasmanie et Londres.

 

Deux lieux pour deux tragédies, l'une, collective: l'élimination des aborigènes en Tasmanie, l'autre individuelle, à Londres, où les personnages sacrifient leurs désirs aux conventions sociales. En Tasmanie en 1839, une petite fille, Mathinna, est adoptée par sir John Franklin, explorateur, gouverneur de Tasmanie, et son épouse, Lady Jane afin de prouver scientifiquement que les sauvages peuvent être civilisés et éduqués comme des Anglais.

A Londres, des années plus tard, Londres s'agite autour de la disparition de sir John Franklin, lors d'une expédition polaire. Accusé de cannibalisme, dans l'océan Arctique il jouit fort opportunément de la présomption d'innocence fondée sur l'incontestable grandeur morale de l'anglais. Lady Jane demande alors à Dickens, au sommet de sa gloire, de laver la mémoire de son mari…Celui-ci accepte et tire de cette histoire une pièce de théâtre en collaboration avec Wilkie Collins : Glacial abîme consacrant le cheminement inverse de Lady Jane et de Dickens, qui va apprendre à céder au désir et à se libérer.

A partir d'une histoire vraie Richard Flanagan laisse libre cours à son imagination pour mieux atteindre la vérité profonde de ses personnages, le désir. Désirer est en effet une méditation magistrale sur la puissance du désir, doublée d'une dénonciation radicale du colonialisme et de ses maux ordinaires: racisme, paternalisme, incompréhension et mépris des autres...

Un livre d'un rare plaisir de lecture.

* Désirer.Richard Flanagan. Ed. Belfond. 310 p.19 €.

  

 

Un voyage intérieur au Japon.

 

                          

 

  Auteur remarqué et remarquable "Des vents contraires", Olivier Adam excelle dans l'évocation des êtres en rupture avec la banalité d'un quotidien qu'ils ne supportent plus. Comme Sarah, l'héroïne de son huitième roman, Le cœur régulier, quadragénaire nantie qui rejette une vie trop bien réglée à l'annonce de la mort de Nathan, frère rebelle, tant aimé.

 

Bouleversée par ses émotions elle se remémore leurs connivences d'antan et persuadée que cet accident était un suicide, elle décide de partir sur ses traces dans un petit village du Japon, lieu d'élection des candidats au suicide. Nathan y avait séjourné prétendant y avoir trouvé la paix, auprès d'un certain Natsume, sauveur des âmes en péril sur la falaise.

Sur ses traces Sarah reconstitue son propre parcours, sa vie, son passé, ses relations avec ses proches… une vie d'adulte davantage subie que voulue.

La plupart des thèmes récurrents d'Olivier Adam: désespoir, suicide, culpabilité, amour et complicité d'une fratrie, présence forte de la nature, omniprésence de la mer…forment la toile de fond de ce voyage intérieur de cette femme émouvante décidée à perdre ses œillères avec l'aide de Ntasume porte-parole d'une sagesse millénaire.

Portrait sensible brossé sans pathos ou mélo superflus, l'écriture puissante d'Olivier Adam alternant vagues puissantes et paquets d'émotions vraies, violentes et belles fait un instant vaciller son lecteur, in fine, délicatement sauvé de la noyade.

 

* Le cœur régulier. Olivier Adam. Ed. de l'Olivier. 232 p. 18

                            

  

 

Premiers romans.

  

 

La cote 400... une sacrée cote!

 


 

Coincée dans ses réserves une bibliothécaire plus toute jeune, passe son temps à ranger des livres dans la cave d'une bibliothèque de province. Terrifiée à l'idée de maîtriser cette vertigineuse production humaine, fruit de deux milles ans de civilisation elle a bien des sujets de colère. En incessants monologues essoufflés et cinglants mêlant fiel, amertume, elle peste contre la cotation Dewey, toute puissance de la rationalité mêlant médailles militaires, généalogie, psychanalyse, occultisme…mais aussi contre les lecteurs, la politique municipale, ses insupportables collègues...

 

Il lui arrive de rêver parfois d'une romance sublime au milieu des rayonnages. Las! L'élu de son cœur ne l'a pas même remarquée la renvoyant à son obsession de la cote 400 Dewey désespérément vacante et à cette rentrée littéraire contre laquelle: ... Il faut se défendre. Leurs gentilles histoires larmoyantes, il faut leur couper la tête (…) il faut trancher dans le vif. Ecarter le gras. Pas de pitié pour les mauvais livres. Et dans le doute, soyons méchants. ...

Méchants? nous ne le serons pas pour ce premier roman original, drôle et percutant de Sophie Divry. Un hommage inspiré aux livres, aux écrivains, en un mot, à la littérature qui, six pieds sous terre, continue d'entretenir d'incessants dialogues avec le lecteur. Sans conteste, l'une des très bonnes surprises de cette rentrée littéraire.              

* La cote 400. Sophie Divry. Ed. Les allusifs. 110 p. 11 €.

  

 

Du Mékong au Missisipi…

 


 

De retour du Vietnam après treize ans de silence, Jim Lamar décide de revenir dans son village natal du Missouri.

 

Un retour discret et néanmoins très remarqué à Stanford, petite ville du Missouri, où ses parents sont morts de chagrin et d'inquiétude dans l'indifférence et l'hostilité d'une population qui a pillé la ferme familiale avant de rejeter ce voisin, qu'ils ne reconnaissent plus. Seuls deux d'entre eux oseront lui parler: un ami d'enfance et Billy, un garçon de 13 ans, qui le rencontre fortuitement en se blessant dans la forêt. Soigné par Jim Lamar ils se découvrent l'un l'autre.

D'un fleuve, l'autre….Du tragique Mékong au boueux Mississipi, deux univers se confrontent. Le vétéran marqué très durement par la guerre du Vietnam confie à l'enfant des histoires de feu et de sang et de fraternité puis son retour dans une Amérique amnésique pour honorer sa promesse de rendre visite aux familles de trois amis soldats disparus. Ces confidences marqueront profondément Billy qui va en apprendre bien plus sur les hommes que durant les treize années de sa vie ordinaire d'enfant près du Mississipi.

Une émouvante et sensible confrontation par un jeune auteur, Lionel Salaün, qui excelle dans cette narration subtile et sensible d'un vétéran traumatisé culpabilisant d'être encore en vie. Rescapé de ce voyage au bout de l'enfer il est désormais un mort-vivant rejeté par une Amérique amnésique, incarnant ainsi toute une génération sacrifiée qui erre, tels des fantômes, dans un pays pétri de traditions et de préjugés ordinaires.

 

Avec cette confrontation magistrale de deux mondes qui désormais s'opposent, Lionel Salaün signe incontestablement l'un des meilleurs premiers romans de cette (trop?) riche rentrée littéraire.

 

* Le retour de Jim Lamar. Lionel Salaün. Ed. Liana Levy. 250 p. 17 €.



 

L'absence … contient tout autant d'infini que la présence...

Cette citation de Christian Bobin en exergue du nouveau livre de Marie Sizun, Plage" en est un parfait résumé.

 


Sur une plage bretonne, une femme seule attend son amant qui doit venir la retrouver dans sept jours. Étrangère sur cette plage et cet hôtel, au milieu de couples que sa solitude intrigue, elle trompe son ennui en imaginant leur histoire sur fond d'une mer changeante et fascinante.

Écartelée entre cette communion avec la nature et l'obsession de l'amour qui la rend délicieusement idiote, elle rédige son journal qu'elle destine à son amant. Las ! Les jours passent, parsemés de rares nouvelles sans cesse plus confuses, l'attente devient supplice, le désespoir succède à l'inquiétude et la colère à l'abattement. Son identité devient incertaine ; Où en suis-je?… Je ne suis pas tout à fait moi, à moins que je ne sois devenue davantage…, son auto-analyse la transforme, au point de sortir à jamais changée de cette semaine décisive…

Avec concision et pudeur Marie Sizun mêle subtilement écriture et peinture pour ce très joli portrait impressionniste d'une femme d'aujourd'hui. Un portrait attachant et changeant sous la lumière capricieuse d'un paysage marin soumis aux flux et reflux incessants des passions.

* Plage Marie SIZUN. Ed. Arléa. 262 p. 19 .

  

 

L'enfer du décor....

Ecrivain brésilien Bernardo Carvalho poursuit ses voyages littéraires de par le vaste monde témoignant ainsi de son goût du voyage et sa grande inventivité.

 


Dans son dernier ouvrage Ta mère, il transporte son lecteur en Russie, à la veille du tricentenaire de Saint-Pétersbourg. Et plongeant dans l'envers du décor de la ville touristique aux 300 ponts et aux façades baroques il y révèle les effets dévastateurs de la guerre en Tchétchénie: mères coupables tentant de sauver leurs fils de la guerre de la solitude et du crime, pères absents, fils égarés.....

Autour du thème central de la maternité et de la guerre, Bernardo Carvalho orchestre en virtuose, les subjectivités et les voix avec, en contrepoints la barbarie guerrière, l'effritement de la famille, et l'omniprésence du mensonge et de la haine. Une passionnante histoire d'amours absolues brisées par la guerre et un Carvalho plus vivant que jamais.

* Ta mère. Bernardo Carvalho.

Ed. Métailié. 210 p.17 €.

  

 

Shanghvi migrateur flamboyant

Pour son second roman, le jeune écrivain à succès Siddharth Dhanvant Shanghvi, nous entraîne au cœur des marais où les flamants roses sont les symboles tenaces d'un Bombay, devenu Mumbai, ville natale de l'auteur.

 

Nous y découvrons l'ordinaire de la vie quotidienne de la haute société indienne, celui de quatre riches Mumbaikars entre amours, infidélités, affaires, et soirées mondaines.

Au fil des pages Siddharth Dhanvant Shanghvi oppose les outrances de l'Inde ultra libérale d'aujourd'hui: pauvreté, cupidité, corruption, faux semblants d'un monde fondé sur les apparences et l'argent, au visage de l'Inde de toujours berceau de la spiritualité mais aussi des préjugés de castes.

Amitié, amour, violence, non-dits et trahisons...Oscillant entre une mélancolique satire acerbe de l'Inde contemporaine, tendresse et gravité, ce roman envoutant exerce une persistante fascination sur son lecteur.

* Les derniers flamants de Bombay. Siddharth Dhanvant Shanghvi. Ed. Des deux terres. 469 p. 22,50 €..

  

 

Une aussi longue absence.

Avec Celles qui attendent, son quatrième roman, Fatou Diome femme de lettres sénégalaise pose un regard féminin sur l'émigration. Un regard tendre sur ces femmes qui restent au pays et attendent après le départ de leurs époux et enfants dans une une île sans perspectives où l'Europe fait figure d'Eldorado.

 

 Leurs fils et maris partis elles trompent leur peur de ne jamais les voir revenir et succombent à la résignation. Femmes courageuses, ces femmes de caractères bercées de rêves d'amour affrontent un quotidien fait de sacrifices et de tâches ménagères ingrates entre belles-mères tyranniques et aléas amoureux d'une polygamie mal assumée. Secrets de famille, trahisons, désenchantements, ragots et palabres...l'espoir du bonheur s'éloigne et les retrouvailles seront souvent amères.

D'une écriture tout à la fois puissante et musicale, sans jérémiades ni complaintes, Fatou Diome alterne le quotidien des iles du Sénégal et la puissance dévastatrice des flots de l'Atlantique submergeant inéluctablement, familles, amours et espoirs. Une dénonciation talentueuse et sans concessions d'un monde sans pitié...

* Celles qui attendent. Fatou Diome.


Ed. Flammarion. 330 p. 20 €.

  

  

 

Stendhal, le rêveur définitif


Ecrire ou vivre? Si Flaubert est le saint patron de l'écriture-martyre, Stendhal est le compagnon de l'écriture-plaisir pour lequel écrire, aimer et vivre ne sont qu'une seule et même chose.

C'est le fil conducteur suivi par Philippe Berthier, spécialiste de Stendhal pour une biographie qui fait la part belle à l'amour des femmes et à la musique lyrique. Car pour Stendhal l'écriture n'est qu'une passion parmi d'autres, toutes aussi essentielles: musique, peinture, paysages, idées, et par dessus tout amour de l'amour: la plus grande des affaires, ou plutôt la seule.

 

Au fil de sa correspondance, de ses Souvenirs d'égotisme, ou des livrets d'opéra nous suivons un Stendhal, amant souvent contrarié, fou d'art lyrique, préférant à la gravité, les émotions sans cesse renouvelées suscitées par la contemplation d'un lac italien, d'un tableau de Corrège ou la voix d'une cantatrice.

Stendhal fut en effet avant tout un homme qui pense à autre chose, même s'il fut l'auteur majeur de deux chefs-d'oeuvre du romantisme, dont les personnages en quête du bonheur affrontent une société affligeante de gravité.

 

Merci donc à Philippe Berthier pour cette biographie si délicieusement jubilatoire que Stendhal lui-même aurait sans doute eu plaisir à la lire!

 


* Stendhal . Philippe Berthier. Éditions de Fallois. 542 p. 24 €.















 

 

 

 



23/08/2010
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