décembre 2008

- décembre 2008

Des livres pour Noel ?

Littérature française ?
En cette période de fin d'année il est d'usage d'offrir le dernier Goncourt. Les jurys du Goncourt (victimes de l'Obamania régnante ?) ont distingué syngué sabour,  d'Atiq Rahimi, réfugié Afghan de 45 ans, qui a quitté Kaboul pour le Pakistan à la fin des années 80 avant d'obtenir l'asile politique en France. Que penser de ce choix ?  Quelle que soit la qualité du livre de l'heureux élu il est permis de lui préférer, l'un de ses concurrents en lice :  Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès, fort heureusement récompensé par les prix Médicis, Fnac et Jean Giono. Alors Goncourt ? Médicis ? Lequel choisir ?
 
Là où les tigres…
Refusé en 1997 par une trentaine d'éditeurs, Là où les tigres sont chez eux est un roman foisonnant de près de 800 pages construit autour de la figure d'un jésuite du XVIIe siècle, Athanase Kircher. Jean-Marie Blas de Roblès, archéologue passionné et globe-trotter polyglotte, a travaillé dix ans sur ce livre. Un livre en abyme: à l'image de la jaquette du livre figurant les rayures des tigres cachant un autre tigre, le roman repose sur six récits – parallèles au départ – qui convergeront vers une fin… inexorable et explosive. Cinq sont contemporains et se situent dans le Brésil des années 2000, tandis que le sixième, très touffu, est la biographie d'Athanase Kircher, redécouverte par Eléazard von Wogau, correspondant de presse dans le nordeste brésilien qui décide de partir sur les traces de ce jésuite, scientifique un peu charlatan, passionné d'orientalisme et de mathématiques. Mais aussi érudit curieux de tout, inventeur de nombreuses machines géniales, physicien, musicien, polyglotte (il était capable de traduire 12 langues et prétendit avoir percé le secret des hiéroglyphes, bien avant Champollion…). Ce touche-à-tout génial, ami de Galilée et du Bernin,  favori des papes et des rois ambitionnait d'harmoniser les savoirs et d'assembler les connaissances en une grande encyclopédie à la gloire de Dieu et de la Contre Réforme. Sa biographie introduit chaque chapitre du roman avant de s'en affranchir pour conter plusieurs aventures parallèles et néanmoins complémentaires formant  selon Roblés :  «une anamorphose de notre époque, une fiction totalisante, proche de l'opéra». Plus proche d'une symphonie baroque que d'un opéra le roman n'en est pas moins classique par sa matière, sa forme et l'universalité de son propos. Un roman Borgesien, singulier palimpseste qui joue à merveille des mises en abyme et des vertiges spéculaires.
 
* Là où les tigres sont chez eux. Jean-Marie Blas de Roblès. Ed. Zulma. 774 p., 24,50 €




Pierre magique…

La « syngué sabour » est une  légendaire pierre de patience qui donne son nom au titre du livre. Pierre magique issue de la mythologie perse à laquelle on dit tout : confessions, aveux, heurs et malheurs, avant de finalement exploser, dispersant à tous vents son trop plein de secrets.  Métaphore : pour l'héroïne du roman cette pierre magique n'est autre que son mari, allongé mort-vivant dans son lit d'impuissance,  inconscient, paralysé, une balle logée dans la nuque. Elle lui parle, se parle, se confesse, se souvient, invoque Allah, évoque le passé. Attentive à chaque respiration de l'homme blessé le monde extérieur ne lui parvient que par des bruits, sons, murmures, cris …Elle prie, égrène son chapelet, scande quatre-vingt-dix-neuf fois l'un des noms d'Allah, alterne  tendresse et reproches. Et voilà que sa bouche, jusque là soumise, égrène des mots interdits,  des mots rebelles, avant d'apostropher Dieu et l'enfer, les hommes et leurs guerres, pour finalement maudire son époux, dérisoire soldat d'Allah vaincu par sa fierté de mâle, son obscurantisme religieux et sa haine de l'autre. Elle était silence, abnégation, la voici devenue femme. Avec une écriture  très simple, tout au présent de l'indicatif, dépourvue d'adjectifs, entre litanie et incantation à la manière persane, Atiq Rahimi recueille et réinvente les douleurs et les espoirs des femmes de l'ombre écartelées entre  l'islam, le sexe, les mariages forcés, la soumission, le plaisir. Telle une  tragédienne antique son héroïne devient symbole: «Cette voix qui émerge de ma gorge, c'est la voix enfouie depuis des milliers d'années. ».
* Syngué sabour.  Atiq Rahimi. Ed. POL. 155 pages.15 euros.


Valéry amoureux comme un collégien…
Le créateur de M. Teste a toujours tâché d'éviter les passions, si redoutables pour un homme soucieux d'intelligence pure. Mais au fond, Valéry était un tendre. En témoigne ces  poèmes adressés dans les dernières années de sa vie à une jeune femme de 34 ans, Jeanne Loviton, de son nom de plume Jean Voilier, avocate puis romancière et éditrice, égérie d'hommes célèbres, dont Giraudoux, Saint-John Perse, Malaparte. Leur liaison dura sept années, les sept dernières du poète. Pour elle, il avait renoué avec une écriture à laquelle il avait renoncé depuis une quinzaine d'années lui adressant près d'un millier de lettres et plus de 150 poèmes  sous forme d'épigrammes, odes, chansons, ballades, madrigaux, psaumes, remplis 'amour et de sensualité. On y découvre un autre Valéry hypersensible, malicieux, voluptueux et souvent d'une touchante naïveté qui se livre comme jamais dans ses écrits, proposant à la femme aimée un absolu idéal à deux où désir et attirance charnelle ne sont que les étapes d'une fusion totale.  Un poète bientôt en proie à la souffrance car quelques mois avant sa mort,  Jean Voilier le quitte pour l'éditeur Robert Denoël. Effondré, le vieil homme malade, redécouvre, lucide et très ému tous ses poèmes.  Il a fallu 63 ans pour qu'ils soient enfin publiés. Un évènement éditorial que l'on doit à Bernard de Fallois. Grâces lui soit rendues !
*Corona et Coronilla, poèmes à Jean Voilier de Paul Valéry. Éditions de Fallois. 220 p., 22 €.


Ou littérature étrangère ?

 Contre-jour (Against the day)                                               
 La plongée dans le livre est vertigineuse: un millier de pages, cinq chapitres, une citation de Thelonious Monk en épigraphe :"Il fait toujours nuit, sinon on n'aurait pas besoin de lumière". L'auteur: un fou ?  Qui donc est ce Pynchon ? On cherche en vain car la recherche est truquée. L'auteur a pris soin de forger sa propre légende: il est en quelque sorte l'homme invisible du roman américain contemporain. Mais l'essentiel demeure, ses livres : V., Vente à la criée du lot 49, Mason & Dixon, L'Arc-en-ciel de la gravité… Et le dernier en date: Contre-jour (Against the day),  puzzle improbable sur un thème majeur et tristement d'actualité : la chute des Etats-Unis observée depuis 1893, année de la deuxième Exposition universelle américaine, jusqu'au lendemain de la première guerre mondiale à partir d'un dirigeable piloté par une équipe d'aéronautes nommée "Les Casse-cou".  Roman traditionnel, récit, western,  polar ? Tous les genres littéraires sont convoqués pour cet implacable réquisitoire contre un capitalisme américain avide, glouton, brutal, sordide… Un réquisitoire déroutant, savant puzzle littéraire et jubilatoire offert à la sagacité du  lecteur convié à un jeu quasi initiatique et provocateur, dans un style à la fois dense et digressif, invraisemblable, riche, éprouvant, luxuriant, délirant, drôle, déconcertant, anachronique, mais toujours précis. Difficile de ne pas s'égarer dans les méandres du récit et d'assembler le puzzle ! Mais on aura compris qu'il s'agit ici bien moins de lecture que d'invitation à partager une formidable aventure littéraire !

* Contre-jour (Against the day). Ed Seuil.  1207 pages, 35 euros.  Pour aller plus loin : Face à Pynchon (487 pages, 20 euros,  Ed. Le Cherche midi.


Hiver 1940 à Madrid.
Au coeur d'une ville plongée dans le chaos après guerre civile espagnole , Harry Brett, ète à l'ambassade britannique est chargé par les services secrets anglais d'espionner Sandy Forsyth, un ancien camarade de  ège lié à la faction extrémiste des phalanges nationalistes espagnoles.  ignorant qu'il n'est qu'un pion manipulé par des politiciens sans scrupules accepte cette mission espérant secrètement retrouver Bernie, son meilleur ami, fervent communiste porté disparu lors de la guerre civile. C'est dans une Espagne exsangue, affamée, maltraitée, terrorisée, torturée qu'Harry tente de démêler l'imbroglio des clans fascistes qui se déchirent.  Au fil de son enquête, il va tomber éperdument amoureux de  Sofia, jeune étudiante en médecine. Quand enfin heureux, il pense en avoir fini avec sa mission, sa vie entière est bouleversée par un événement tout à fait inattendu…
 S'appuyant sur les travaux les plus récents des historiens et sur les témoignages des derniers témoins survivants de ce drame, Sansom, évoquant Guernica, rappelle la cruauté de toute guerre qui ne justifie jamais la torture.  Et dans ce roman, mêlant espionnage et histoire d'amour tragique sur fond du Madrid exsangue de l'hiver 1940,  l'auteur noue avec talent  les intrigues d'une œuvre ambitieuse aux tonalités , mais passionnante de bout en bout.
* Un hiver à Madrid. C. J. SANSOM. Ed. Belfond étranger. 516 pages. 22,50 euros.

Un bon Polar ?

Montanari émule de James Elroy.
 Philadelphie en hiver. Les corps mutilés de deux femmes habillées de robes anciennes sont retrouvés l'un après l'autre sur les berges de la rivière. Mais l'enquête de Byrne et sa coéquipière Balzano prend une autre direction avec l'assassinat d'un flic à la retraite : ils font le lien avec la disparition, jamais élucidée puis oubliée, de deux jeunes filles vingt ans plus tôt. L'enquête de Byrne et Balzano va les conduire dans les lieux les plus sordides de la ville, sur les traces d'un tueur terrifiant, hanté par des contes de fées, dont l'identité restera une énigme jusqu'à la fin. L'intrigue policière est un peu lente à démarrer mais patience : les pistes et  rebondissementsse succèdent à un train d'enfer, un train dont il est impossible de descendre en marche ! Aès « Déviances » et « Psycho », Montanari poursuit son tableau au vitriol de Philadelphie, avec un obsédant  sens du suspense qui n'est pas sans rappeler le dieu vivant du polar, James Elroy.
* Funérailles. Richard Montanari. Ed. Le cherche midi. 470 pages.22 euros.

Demain l'apocalypse ?
 Patrick Graham, a mélangé avec brio plusieurs ingrédients pour concocter un roman étrange dont on a du mal à décrocher. Une intrigue complexe bien ficelée et des portraits psychologiques distillés au fil des pages donnent vie à une infernale course-poursuite jusqu'au dénouement final et inattendu. De quoi s'agit-il ?  Pour ceux qui ont déjà lu L'Évangile selon Satan, ( dnous avions rendu compte ici même)   il faut préciser que L'Apocalypse selon Marie n'en est pas la suite mais à son auteur de revenir et de développer le personnage de son enquêtrice fétiche, Marie Parks, agent du FBI et profileuse capable d'entrer dans la tête des pires « cross-killers ». La voici aux prises avec l'un d'eux, personnification du mal absolu, entend anéantir l'humanité.Contre Lui ils ne sont plus qu'une poignée à veiller, descendant(e)s d'une civilisation millénaire presque éteinte, mais puissante. Et c'est sur les épaules d'une petite fille de 11 ans, protégée par Marie Parks et Gordon Walls, (une femme brisée et en colère qui enverrait bien l'humanité toute entière rôtir en enfer si ses portes ne venaient pas de s'ouvrir pour l'engloutir) que va reposer la survie de l'humanité. Suspens et terreur garantis ! Patrick Graham signe là un thriller fantastique, terrifiant et fascinant. Attention : déconseillé aux personnes sensibles !

* L'Apocalypse selon Marie. Patrick Graham. Ed. Anne Carrière. 550 pages. 23 Euros.


 Un policier + un DVD ?
Une idée épatante de cadeau : un poche et « son » DVD, sous jaquette cartonnée, une initiative destinée à fêter les dix ans de Folio policier. De La Nuit du Chasseur de David Grubb, accompagné du DVD du film de Charles Laughton, (avec l'inoubliable Robert Mitchum), à La Sentinelle de Gerald Petievich et son adaptation signée Clark Johnson (avec Kiefer Sutherland et Michael Douglas), l'éventail est large !  Anniversaire ou pas, Folio policier dégaine très tôt avec ces coffrets livre et DVD à prix modéré : 11,9 euros l'unité. Mais attention, les autres éditeurs n'ont pas dit leur dernier mot !

-Gourmandises littéraires ?   Mitonnées par Pivot ?
Fagoté comme l'as de pique (mal habillé), à toute bringue (rapidement), fort de café (inadmissible), rabattre le caquet (faire taire), ne pas être une flèche (idem), en deux coups de cuillère à pot (rapidement), sortir de ses gonds (s'énerver), la fin des haricots (tout est perdu)… Autant d'expressives  expressions menacées d'oubli répertoriées avec jubilation par Bernard Pivot dans : les «100 expressions à sauver», 100 chefs d'œuvre en péril issus de la verve populaire gardant toutes, intact, leur pouvoir de séduction. Qui les a inventés ? Mystère ! Un mystère qui ajoute à leur charme tout comme leur caractère elliptique qui leur permet d'en dire long avec peu de mots.  En fin gourmet  Pivot les assortit  de citations livresques (Colette, Queneau ou Giono à Nourissier, Assouline et Tillinac…) et les épice façon Claude Duneton. Les vrais gastronomes n'ont plus qu'à déguster, si possible à l'écart des  turpitudes de notre langue livrée au dialecte sms-msn et surtout à sa maltraitance tristement généralisée ! Mais il en est de notre langue comme de notre télévision ou de nos hommes politiques : les Français ont le langage qu'ils méritent !
*«100 expressions à sauver», Bernard Pivot, Ed. Albin Michel, 145 p.12 euros.

Ou assaisonnées à la sauce Naulleau ?
Pierre Jourde et Eric Naulleau (le cerbère de service flanqué de son comparse Zemour, chez Ruquier, sur France 2) nous livrent la dernière version revue et augmentée de leur pastiche du Lagarde et Michard : Précis de littérature du XXIe siècle. Un tir aux pigeons littéraire où sont assaisonnées quelques cibles de choix : Marie Darrieussecq, Alexandre Jardin, Camille Laurens, Bernard-Henri Lévy, Philippe Labro, Christine Angot, Philippe Sollers... ou encore : Patrick Besson, Anna Gavalda, Marc Lévy, Florian Zeller…. Chacun d'entre eux a droit à une notice biographique, des extraits annotés et pour finir des exercices (avec corrigés) afin de s'assurer de la bonne compréhension du sujet abordé ! Le résultat ? Instructif et hilarant. Un excellent moment en perspective et une occasion rêvée d'approfondir sa culture littéraire  tout en démythifiant certains des abonnés aux têtes des listes des ventes.
* Le Jourde et Naulleau - Précis de littérature du XXIe siècle. Ed. Mots Et Cie.280 pages. 13,50 euros

Une région au cœur…
 Annie Degroote revient ici à sa région de coeur, au temps des années folles. C'est tout  un pan de l'histoire de la « perle de la Côte d'Opale », Le Touquet,  qui sert de cadre à  l'ascension d'une fille de pêcheur au physique ingrat en mal de revanche avec en toile de fonds l'évocation et la décadence d'un palace qui fut le plus grand hôtel du monde, le fabuleux Royal Picardy. Confrontation entre deux mondes : l'un travaille sans relâche, l'autre s'étourdit de plaisirs provisoires dans l'imminence de la catastrophe annoncée.  Solidement documenté le livre est également un émouvant plaidoyer pour le respect de l'autre dont il faut savoir gré à son auteure talentueuse.
*Un palais dans les dunes. Annie DEGROOTE. Ed. Presses de la Cité.Terres de France. 372 pages. 19,90 euros.

Document : Les années noires de la ville lumière.
Ville lumière, Années noires pourrait être le guide du Paris des romans de Modiano. Le livre retrace en effet, l'histoire cachée et douloureuse de la plupart des grands bâtiments parisiens.  C'est que les drames de l'Occupation bien qu'inscrits dans leurs pierres semblent y avoir laissé peu de traces, la «Ville lumière» gardant ses années noires pour elle. La lecture du livre permet donc de découvrir les lieux où s'est nouée la Collaboration et de comprendre comment l'«aryanisation économique» s'est mise en place. La consultation d'un grand nombre de photos, classées judicieusement par quartier par quartier, illustre tristement la nuit noire de l'Occupation : persécutions, dénonciations, propagande obscène, marché noir,  délires de la Révolution nationale, exactions des collabos…Bref…L'Histoire…une certaine histoire. Tragique mais instructif, à ne pas oublier lorsqu'on déambule dans les rues de Paname !…
*Ville lumière, Années noires.  Les lieux du Paris de la Collaboration . Cécile Desprairies. Ed. Denoel .352 pages. 30 euros.




09/02/2009
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