décembre 2009

Chronique décembre 2009



Exit le fantôme ?

On se réjouit toujours de découvrir un nouveau livre de Philippe Roth! Le titre de celui-ci : Exit ghost fait clairement référence au Hamlet de Shakespeare.

Le fantôme ? C'est Nathan Zuckerman, alter ego favori de l'auteur dont il endosse les réflexions, certitudes et incertitudes sur l'écriture, la littérature, l'actualité, la politique et l'évolution de la société américaine...A 71 ans le voici aux prises avec le naufrage de la vieillesse. Opéré d'un cancer de la prostate, devenu impuissant, lui qui aime tant le sexe, il subit une humiliante incontinence. Pire encore sa mémoire se dérobe effaçant de son esprit les pages qu'il vient juste d'écrire, au péril de son travail d'écrivain. De retour à New York après onze ans d'exil volontaire dans un coin perdu du Massachusetts où il a vécu en solitaire se consacrant totalement à l'écriture et à la lecture, volontairement coupé de tout et de tous, Nathan se rend un jour d'automne 2004 à New York, pour une intervention qui vise à guérir son problème d'incontinence. Le voici à nouveau confronté à la navrante réalité des relations sociales ordinaires mais aussi à la tentation amoureuse oubliée avec Jamie, la très charmante jeune femme d'un couple avec lequel il se propose d'échanger sa maison.  Confronté à: l'amertume désarmée d'un vieil homme au supplice et mourant d'envie d'être à nouveau intact pour sublimer sa passion il écrit et met en scène ses fantasmes, inventant des dialogues avec son égérie dans une tentative éminemment littéraire de se réapproprier son existence par la fiction. A New York il constate que le monde a changé et croise dans les rues des quidams parlant seuls, portable vissé à l'oreille. Surtout il y découvre atterré une sorte d'indifférence, voire de mépris à l'égard de la littérature, y compris de la part des critiques professionnels. Nous les gens qui lisons et écrivons, nous sommes finis, nous sommes des fantômes qui assistons à la fin de l'ère littéraire. Et la mode de la biographie  le révulse, Nathan l'assimile à une  deuxième mort, une licence d'exploitation d'une vie qui est fixée à jamais dans l'esprit des gens…châtiment d'une inquisition menée par le biographe. Désabusé Philippe Roth? Non, profondément et définitivement lucide, doué d'un humour acide, comme formidable antidote à la dégradation physique et intellectuelle de son  fantôme qui est loin d'être au bout du rouleau! En témoigne ce livre profondément humain, teinté d'une ironie mélancolique  qui décortique allégrement l'Amérique de l'après-11-Septembre et de George W. Bush. Un livre humaniste qui est avant tout une formidable ode à la littérature: la forme de vie dont le sens en vient à compter plus que tout .

Exit le fantôme. Philippe Roth. Ed. Gallimard. 330 pages. 21 euros.




La blessure au coeur des hommes.

Laurent Mauvignier est passé au travers du Goncourt. Classiquement le jury lui a préféré le livre de Marie N'Daye qui a le mérite d'être édité chez Gallimard !  Dommage… Des hommes, son dernier roman l'aurait amplement mérité! Car il ne s'agit pas d'un énième roman sur la guerre d'Algérie, mais d'un livre sur ses combattants français survivants aux prises avec leurs cauchemars. Pour cette génération qui a perdu son innocence dans les djebels, leur guerre après la guerre est une blessure profonde qui ne guérit pas. Ce livre est donc celui de leur blessure, même si la guerre n'est pas absente du livre qui décrit avec détails et précisions nauséeuses les ultimes combats opposant l'armée française au Flin. Mais ce qui intéresse vraiment Mauvignier c'est l'empreinte en creux laissée par l'horreur dans l'assourdissant silence de l'après Algérie, une blessure secrète que tout homme sait rejoindre : «au point de devenir cette blessure elle-même, une sorte de cœur secret et douloureux» (exergue de Jean Genêt). Une blessure sans cesse ravivée dans la honte et le secret, surtout la nuit qui occupe l'essentiel dans ce livre, découpé sur moins de vingt-quatre heures, en quatre périodes d'inégales longueurs. Chaque nuit les images de la guerre reviennent en une infernale sarabande remontant, telles des bulles, à la surface de la mémoire. Et chaque phrase de Mauvignier ravive cruellement la blessure à vif. Jusqu'à ce long silence de l'aube lorsque la vie et l'espérance reviennent pour que vivent et survivent les hommes. Des hommes, seulement des hommes :"La guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien ; là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout."
Des hommes. Laurent Mauvignier. Ed de Minuit, 286 pages. 17,50 euros




Faust revisité

Résumer le nouveau roman-fleuve du Catalan Carlos Ruiz Zafón est une gageure! C'est qu'à dessein Zafón égare son lecteur dans un gigantesque labyrinthe avec comme seul fil conducteur la mythique histoire de Faust, sans se priver de recourir avec délectation et un brin de cynisme aux recettes du thriller fantastique et aux clichés du roman-feuilleton du XIX ème siècle. A l'image d'une Barcelone  en décor digne d'un Dickens ou d'un Eugène Sue dans lequel il plante son personnage principal, jeune écrivain famélique, larbin inspiré d'un journal populaire écrivant sous pseudonyme, un roman fantastique éreinté par la critique et rejeté par sa propre mère. Désespéré David endosse les habits de Faust et se damne en rencontrant son Méphistophélès personnel, Corelli, un éditeur parisien qui va l'enrichir et éliminer tous ceux qui le gênent. Il lui propose: d'inventer une nouvelle religion en imaginant une histoire : pour laquelle les hommes seraient capables de tuer et de se laisser tuer, de donner leur âme, de se sacrifier et de se damner. Commence alors pour David  une véritable descente aux enfers au cours de laquelle il accepte de devenir le nègre d'un ami pour lequel il écrit un livre à  grand succès symbolisant ainsi l'écrivain qui se perd en signant son contrat d'édition. Réflexion sur le pouvoir du livre et de l'écriture Le Jeu de l'ange est aussi l'histoire d'une amitié et d'un amour impossible sur fond d'un haletant suspense borgesien. Zafón et Méphistophélès même combat ? Un livre diaboliquement habile quoiqu'il en soit!
Le Jeu de l'ange. Carlos Ruiz Zafón. Ed. Robert Laffont. 539 pages. 22 euros.




Pour découvrir Louis Guilloux.


L'œuvre de Louis Guilloux (1899-1980) tient une place particulière dans la littérature du XXe siècle grâce à l'universalité de son propos empreint d'une grande compassion pour les plus humbles et la qualité si singulière de son style. Guilloux était très lié avec Camus qui disait de lui qu'il était le romancier de la douleur. Sans doute parce que ses écrits mettent en évidence l'absolue solitude de personnages abîmés par la vie. Gallimard vient de rééditer certaines de ses œuvres sous un titre célinien:  d'une guerre l'autre structuré autour des deux guerres mondiales. Guerre de 1914, avec Le sang noir, dont l'action se situe dans une petite ville de province, représentative d'une France de l'arrière dans laquelle les horreurs des combats ne parviennent que par les permissionnaires et les soldats blessés hospitalisés dans une partie du lycée où enseigne la figure devenue mythique du philosophe marginal Georges Palante. Un livre majeur dans la littérature du XXème siècle, comparable en force au Voyage au bout de la Nuit de Céline. D'une guerre l'autre : celle de 1939-1945 avec OK ! Joe' dans lequel dans une ville de province récemment libérée par les américains un soldat noir en état d'ivresse assassine le père de la jeune fille qu'il avait l'intention de violer. Viennent ensuite deux romans évoquant le climat trouble de la Libération : Labyrinthe, et L' herbe d'oubli,  retour sur les élans de solidarité fracassés par la guerre qui animaient les bâtisseurs de La maison du peuple. Les pauvres y tiennent une place de choix, comme toujours chez Guilloux, socialiste dans l'âme, bien que volontairement à l'écart de tous partis. Anarchiste Guilloux? Sans doute mais avant tout homme libre dont chaque livre est un défi mettant  en péril son propre travail.  Nous cherchons toujours (...) quelque chose de différent... une fuite. Mais comment donc un écrivain de cette importance peut-il être aussi méconnu faisant l'objet de parcimonieuses rééditions? Cela n'aurait sans doute pas surpris Louis Guilloux, lui  dont le credo, d'un pessimisme noir, était: il n'y a pas de raison d'espérer.
D'une guerre l'autre. Louis Guilloux. Ed. Quarto Gallimard. 1120 pages. 29 euros.




Des gens ordinaires enfin sortis de l'ombre.
Il est grand temps de donner un peu de clarté à cette nuit de l'occupation d'où émergèrent, tels des lucioles ceux qui surent s'opposer à l'occupant. Notre pays, longtemps amnésique a bien du mal à retrouver une mémoire écartelée entre une mauvaise conscience engendrée par la défaite, l'Occupation, la collaboration…et le mythe gaulliste d'une France résistance et combattante. Soixante-dix ans après, c'est à une vision plus réaliste de cette période troublée de notre histoire que nous convie Paroles de l'ombre, de Jean Pierre Guéno et Jérôme Pecnard. Plus qu'un livre il s'agit d'un livre-objet  d'un genre nouveau recélant 100 documents inédits sur la vie des français sous l'occupation. Collés dans la page, glissés dans des enveloppes, des documents historiques reproduits à l'identique permettent au lecteur de redécouvrir un peu de la vraie vie de cette période si singulière de l'Occupation :  manuscrit original de l'appel du 18 juin 1940, tickets de rationnements, carte officielle de la ligne de démarcation, carnet de route d'un soldat de la France libre, tracts antisémites, journaux clandestins, lettre de dénonciation à la Gestapo...De la drôle de guerre à l'ivresse de la victoire, chaque période est présentée en deux pages assorties d'un résumé. C'est toute la société française qui apparaît ainsi avec ses abîmes, ses peurs, ses acceptations résignées et ses élans de bravoure. Les choix étaient difficiles: qu'aurions nous fait nous-mêmes sous l'Occupation? La réponse est forcément complexe. Et par delà l'histoire officielle ce sont tous  les obscurs,  les sans grade qui reprennent vie sous nos yeux, nos parents, grands-parents, arrière-grands-parents… Des milliers d'entre eux ont répondu à l'appel de  Paroles de l'ombre avec des lettres et carnets qui dormaient dans leurs archives. Parmi ceux-ci les lecteurs retrouveront, sans surprise, plusieurs témoignages de Raymond Ruffin sur cette période de l'histoire sur laquelle il a tant écrit.(*). A  une époque où  il est de plus en plus malaisé, surtout pour les jeunes, de démêler réalité et fiction, il n'est pas inutile de rappeler que, comme la vie, l'histoire est un mélange complexe d'ombre et de lumière, une invitation pressante à tirer les leçons des erreurs du passé.
Paroles de l'ombre - Lettres et carnets des Français sous l'Occupation (1939-1945). Jean-Pierre Guéno , Jérôme Pecnard .Ed. Les Arènes. Coffret. 112 pages. 34,80 euros.
* Cf. Raymond Ruffin : aux Presses de la Cité :  Les Lucioles de ma nuit,  Journal d'un J3), La Vie des Français au jour le jour 1939-1945. Avoir eu 10 ans en 1939 (Ed. Bertout).




Marguerite Buffard , un destin…

Voici encore enfin sorti de l'ombre et de l'oubli un autre visage, celui de Marguerite Buffard, dont  un livre retrace le parcours militant exemplaire et la vie. Une chronique fidèle et émouvante  de l'engagement et du sacrifice d'une intellectuelle, dirigeante communiste, pleinement engagée dans la vie au nom d'un idéal humaniste. Marguerite Buffard professeur de philosophie s'engage en 1934 dans le combat antifasciste. En 1935 elle adhère au parti communiste et enseigne successivement à Colmar, Caen puis Troyes, avant d'en être révoquée le 17 décembre 1939 en raison de son adhésion au parti communiste.Elle devient alors « formeur » dans une bonneterie de Troyes. Exclue du PCF elle rejoint la ferme de son mari Jean Flavien responsable régional du PCF, avant son emprisonnement durant toute la durée de la guerre. Internée en 1942 au camp de femmes de Monts, elle participe à l'une des rares révoltes contre la mauvaise nourriture. Transférée ensuite à Mérignac elle s'évade en décembre 1943 et rejoint la résistance à Lyon. Agent de renseignement à l'inter-région FTP, dénoncée, elle est arrêtée par la Milice le 10 juin 1944, se défenestre du troisième étage du siège de la Milice et meurt sans avoir parlé.  Elle disparaît de la mémoire collective jusqu'à ce que Christian Langeois lui rende enfin justice en reconstituant fidèlement la vie brisée de son héroïne à partir d'archives et d'une très riche correspondance, un ouvrage plus que jamais nécessaire, sur ce que furent la solidarité et la résistance au quotidien.
Marguerite. Christian Langeois. Ed. Le cherche midi. 391 pages. 18 euros.

Nos lecteurs ont bien du talent !
Chacun dans un genre différent, du polar à la poésie, mais toujours avec talent, trois auteurs-lecteurs du « Mutualiste »  signent trois ouvrages qui n'ont pas à rougir de la confrontation avec la production éditoriale classique.

Polar santé

En 2003 la Mutualité Française a lancé la collection Polar santé qui traite des scandales de santé publique associant plaisir littéraire et investigations. Parmi les auteurs retenus Claude Broussouloux, médecin, écrivain, et auteur éclectique pour un nouveau roman noir: "Diagnostic fatal", thriller à la française sur fond d'une descente aux enfers d'Eric, écrivain hypocondriaque, sous emprise du Docteur Reyers, radiologue et pseudo chirurgien esthétique, qui, lui apprenant sa fin prochaine, l'amènera progressivement à commettre le pire. Sur ce fond romanesque Claude Broussouloux dénonce des pratiques médicales pour le moins, inquiétantes dans l'univers de la chirurgie esthétique et de pseudo cabinets de radiologie. Une manière originale et plaisante de faire découvrir au grand public une réalité médicale parfois méconnue.
Diagnostic fatal. Claude Broussouloux. Ed. Mutualité française-Pascal Nero. 107 pages. 12 euros.




Nostalgie

Retraité du métro Gilbert Mourgues a voulu réunir en un ouvrage les histoires de veillée des  anciens dans sa Cévenne natale avant que celles-ci ne tombent dans l'oubli à la manière de  son talentueux compatriote, Jean-Pierre Chabrol, qui ne lui a pas ménagé ses conseils pour écrire ce livre dont le personnage principal, Jean d'Econnet, est porteur d'une somme de récits et histoires populaires. C'est avec grand plaisir que l'on suit les tribulations deJean, né en 1870 dans un pays marqué par la  défaite qui par tradition familiale embrasse, sans grand enthousiasme, la carrière ecclésiastique. Las! Faute de vocation sa vraie nature hédoniste reprend le dessus lui valant de multiples aventures et mésaventures picaresques au grand dam du clergé local et des fidèles! Bientôt victime d'une mutation disciplinaire il se retrouve dans la plus pauvre des paroisses où il n'en poursuit pas moins, parfois périlleusement, sa quête de bonne chère et de jupons ! Le lecteur suit avec gourmandise ses tribulations tragi-comiques en humant les pages de ce joli livre qui sent si bon le terroir ! Ne manque que l'odeur de la fumée de la cheminée dont l'odeur persistante esbaudit les narines de notre retraité et, bien entendu les nôtres! A suivre ?
Brave Jean d'Econnet. Gilbert Mourgues. Editions Persée. 176 pages. 15 euros.



-Poésie

Notre époque n'est guère tendre avec les poètes et il faut bien du courage aujourd'hui pour relever le défi! Raison de plus pour lire Guillaume Bauzon qui, après la publication en 2007 de ses deux recueils de poèmes: Les Rêveset Poèmes cyclopéens, a souhaité poursuivre et prolonger leurs publications avec Réminiscences perdues  qui n'est pas à proprement parler un recueil de poèmes classique, mais une invitation à entrer au cœur de la création poétique à partir de textes préparatoires et de textes non publiés ou non retenus dans les recueils précédemment publiés durant quatorze années. La poésie est éminemment subjective, il appartient donc à chacun de faire sien, selon son cœur ou sa sensibilité, tel ou tel texte d'inspiration fort diverse figurant dans ce recueil. Une vraie rencontre avec un vrai poète,  une aventure salutaire dans un monde qui rejette toute véritable subjectivité.
Réminiscences perdues. Guillaume Bauzon. Ed. Le manuscrit Poésie. 165 pages. 14,90 euros. (également disponible sur www.manuscrit.com). 



31/12/2009
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