mars 2011

  voir la chronique parue dans "Le Mutualiste"https://static.blog4ever.com/2009/02/288347/artfichier_288347_231025_201104133744448.pdf

 

                  

 

Lectures d'hiver....Un camaïeu de gris....

 

 

Que lire cet hiver? Le lecteur n'a que l'embarras du choix parmi 510 titres parus entre janvier et février, dont 329 romans français et moins de 50 premiers romans, les éditeurs ont visiblement misé, sur des auteurs confirmés avec des livres aux tonalités sombres: deuils, séismes, mémoires revisitées....un camaïeu de gris: du gris clair, au plus foncé, avec, heureusement, de vrais bonheurs de lectures ….

 

 

  • Christine Angot, « Les Petits », (Flammarion), le côté sombre de la puissance féminine et l'utilisation par certaines femmes d'un pouvoir maternel devenu tentaculaire;

  • Alexandre Jardin, « Des gens très bien » ( Grasset), portrait en noir du «  Nain Jaune », son grand-père, Jean Jardin, directeur de Cabinet de Laval à l'époque de la rafle du Vél d'Hiv;

  • Laure Adler, « Françoise » (Grasset), la face cachée de la grande dame de L'Express;

  • Andreï Makine, « Le livre des brèves amours éternelles » (Seuil): l'histoire tragique de son pays, la Russie, et de son enfance dans un orphelinat soviétique;

  •  Mathieu Lindon, «Ce que aimer veut dire », (P.O.L), roman d'apprentissage et émouvant hommage à un grand disparu: Michel Foucault;

  • Jérôme Garcin, « Olivier » (Gallimard). Un admirable cadeau posthume méditatif et mélancolique à un frère trop tôt disparu;

  • Pierre Assouline, "Les Vies de Job", (Gallimard), une biographie romancée de Job, symbole de l'homme accablé par le malheur et une interrogation sur ce qui mène un écrivain à écrire sur un personnage;

  • Michel Rostain, « Le Fils » (Oh! Éditions) un livre bouleversant dans lequel un père fait parler son fils, foudroyé par une méningite à 20 ans, le récit d'un deuil difficile, heurté, et hélas, inéluctable. Un livre percutant plébiscité par les lecteurs, prix du premier roman de l’académie Goncourt;

  • Toujours sur la douleur de la paternité: Nicolas Fargues, «Tu verras » (P.O.L.) Une bouleversante histoire d'amour, de paternité et de solitude;

  • Dany Laferrière, « Tout bouge autour de moi », un témoignage poignant et puissant autour du séisme du 12 janvier 2010 qui a détruit Haïti.

  • Sur le même sujet: Martin Victor, « Corps mêlés » (Gallimard): le séisme de 2010, vu par un jeune romancier haïtien;

  • Il arrive aussi, (trop souvent hélas), que des auteurs s'inquiètent du sort des ouvriers dont les usines sont délocalisées. C'est notamment le cas de Jeanne Benameur « Les insurrections singulières », (Seuil) et de Gérard Mordillat « Rouge dans la brume », (Calmann-Lévy);

Et pour retrouver un peu de bleu et de sérénité revoici Philippe Sollers, (Trésor d'amour) (Gallimard) et ses thèmes de prédilection : les femmes, la culture, Venise, et, bien sûr, Stendhal... voici encore Philippe Delerm « Le trottoir au soleil » (Gallimard), où l’auteur de « La première gorgée de bière » tente d’expliquer « comment être solaire quand l’humanité souffre partout », lorsque l’on atteint la soixantaine. Un bien joli et réconfortant programme!

 

 

 

 

 

 

 

 

Et au milieu coule une rivière....

Cela faisait presque cinq ans que l’on attendait le retour de l'auteur du célèbre Monde selon Garp. C'est chose faite avec « Twisted River » son douzième roman. A 68 ans, John Irving embarque son lecteur sur La Twisted River, (la rivière tordue!) pour bourlinguer sur les flots tumultueux d'un puissant roman-fleuve charriant, pêle-mêle, dans ses eaux torrentielles, trois générations de l'histoire des Etats-Unis, des éléments autobiographiques, des références à ses livres précédents, et surtout une réflexion inspirée sur le métier de romancier et les liens subtils unissant fiction et réalité.

La Twisted River n'a vraiment rien d'un long fleuve tranquille: en virtuose de la construction romanesque, Irving ne ménage ni ses personnages, ni son lecteur, au risque de l'y noyer parfois. Comme ce gamin de 15 ans qui, au début du livre, glisse d'un train de bois et se noie, au milieu des draveurs qui, en 1954, dans le New Hampshire, convoient du bois flotté vers les fabriques du Vermont. Avec eux, Dominic, leur cuisinier, et son fils Danny, 12 ans qui, une nuit, surprend son père au lit avec la petite amie du shérif, Jane, une Indienne fort corpulente et fort chevelue. Persuadé que son père est attaqué par un ours, l'enfant tue l'Indienne! Erreur fatale: pendant plusieurs décennies, les deux personnages vont fuir, poursuivis obstinément par « Cow-Boy », crétin aviné et shérif adjoint du comté de Coos! S’ensuit une errance sans fin entre Amérique et Canada sous la protection bienveillante de Ketchum, un homme des bois, chasseur d'ours et de chevreuils. C’est cette poursuite perpétuelle haletante et menaçante de plus d'un demi siècle qui est l'objet principal d'un récit qui permet à Irving de couvrir trois générations de l'histoire des Etats-Unis, du Vietnam à Bush Jr., d'évoquer ses livres précédents, et, grâce au personnage de Danny, devenu romancier au fil de cette errance, de réfléchir sur l'écriture et ses rapports subtils entre fiction et réalité. A cet égard la fin magistrale du récit, la toute dernière phrase devenue la toute première du futur roman de Danny et de Twisted River, signe la victoire de l'écriture douloureuse et le triomphe définitif de l'art sur la réalité.

 

 

DERNIÈRE NUIT À TWISTED RIVER. John Irving. Ed. Seuil, 560 pages. 22,80 €.

 

 

 

 

 

Le Temps dispersé.

Le temps dispersé

Voici donc le dernier Doubrovsky, Serge de son prénom, né à Paris en 1928, critique littéraire, professeur d’université, écrivain, Prix Médicis en 1989 pour Le livre brisé, et auteur de huit romans et plusieurs essais littéraires sur Racine, Corneille, Proust ou la nouvelle critique. Inventeur en 1977 du terme «autofiction» …Fiction d'événements et de faits strictement réels ; si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman, traditionnel ou nouveau.... De fait, la vie de Doubrovsky est toute entière contenue dans ses livres successifs, « On pourrait republier en un gros volume les huit titres séparés de mon autofiction, considérée comme un tout... », vaste puzzle en dispersion et jeux de miroirs auquel il manquait les dernières pièces. C'est chose faite aujourd'hui. A 83 ans avec un Homme de passage, il publie ce qu'il pense être son dernier livre pour clore le récit de sa vie, bouclant ainsi la boucle ouverte il y a quarante-deux ans avec « La Dispersion ».

Un Homme de passage est divisé en sept parties structurant le surgissement hasardeux des souvenirs épars, mais cette fois les jeux du langage et de la syntaxe doubrovskien se sont assagis face à l'imminence de la mort.

Son personnage, son double, trie les objets accumulés en vingt-huit ans dans son appartement new-yorkais qu'il s'est résolu à quitter pour prendre, seul, sa retraite à Paris. L'occasion de mêler intimement une description minutieuse de sa vie présente, solitaire et minée par les misères physiologiques liées à l'âge, et l'exploration attentive de sa mémoire en une subtile littérature autofictionnelle mêlant des parcelles d'un soi disparu qui se recomposent, se ravivent, en éclairs instantanés, sans suite, sans ordre et des bribes de scènes revécues et des réminiscences au hasard des rencontres...Autant de feux follets, braises vacillantes qui rougeoient avant de s'éteindre et s'abimer dans les ténèbres d'une fin de vie ordinaire entre solitude, manies, rituels, et naufrages de l'âge, toujours hanté par les ombres douloureuses du passé. Son Temps retrouvé? Cher, très cher Proust, je ne me retrouve, je réinvente. Au fil des souvenirs qui éclatent, explosent en instantanés furtifs, je brode. Ma vie pour moi est ma fiction, mon autofiction. Comment on se raconte à soi-même...". Une fiction qui réduit la distance entre l’auteur et son lecteur auquel il transfuse presque insidieusement l'essence même de sa vie qui lui devient aussi familière que celle de ses proches, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes!.

** UN HOMME DE PASSAGE de Serge Doubrovsky. Ed. Grasset, 548 p., 23 €


 

 

L'homme qui aimait les chiens »


Avec « L'homme qui aimait les chiens », Leonardo Padura écrivain cubain de 45 ans reconstitue les dernières années de Trotski, exilé poursuivi par la vindicte de Staline, de 1929 à 1940 avant d'être assassiné d'un coup de piolet dans la tête par un certain Ramón Mercader, à Mexico, en 1940. Le livre débute là où finissent les mémoires de Trotsky, une marche vers la mort reconstituée méticuleusement par un Leonardo Padura qui n'hésite pas à recourir à la fiction pour combler les nombreux interstices laissés par l'histoire officielle. L'ingénieuse construction de son roman avec ses trois cheminements, ses recoupements d'événements et sa succession de trahisons, mensonges, dénonciations et faux-semblants, confèrent à cette histoire connue un suspense digne des meilleurs romans policiers.

En 2004, à la mort de sa femme, Iván, pauvre vétérinaire cubain de La Havane doublé d’un écrivain raté revient sur sa rencontre en 1977 avec une silhouette mystérieuse qui promène ses lévriers russes sur les plages de La Havane. Malade, celui qui dit se nommer Jaime Lopez, lui raconte l'histoire de Ramon Mercader, l'assassin de Trotski, ancien combattant de la guerre d’Espagne, repéré et formé par les services secrets soviétiques pour éliminer le traitre. Un Mercader dont on connaît à priori peu de choses, mais auquel Padura redonne vie, en décrivant subtilement l'engrenage qui aboutit à transformer un homme lucide en tueur au nom de « la cause», dans une aventure digne des meilleurs polars.

Entre Trotsky et Mercader, voici Iván, écrivain frustré et naïf, double d'une société cubaine victime des tromperies de l'histoire aux prises avec une « solitude sidérale » après la disparition de l'URSS. Ce « résultat prosaïque d’une défaite historique », toujours présente en arrière-plan du roman, démythifie le passé et éclaire le présent, telle une sublime et sombre fresque du XXe siècle, animée d'un souffle puissant qui emporte tout, et d'abord le lecteur, de la première à la dernière ligne.

** Leonardo Padura, L’homme qui aimait les chiens. Ed. Métailié, 672 p., 24 euros

 

 

 


 


 

 

 

Comme un boomerang

 

 

C'est bien connu, on ne fait pas de (bonne) littérature avec les bons sentiments. Avec La Gifle Christos Tsiolkas, encore peu connu en France, a choisi d'opter pour les mauvais sentiments, avec succès... son roman est devenu rapidement un best-seller international, encensé par la critique américaine, et dûment listé sur la liste du Man Booker Prize 2010. La Gifle, son premier roman traduit en français se situe en Australie, sa patrie d'adoption et le lieu de cette parabole acide sur la dégénérescence et le déclin de l’Occident.

Comme une «toile ouverte du ciel, du désert et de la terre», l'Australie, est le creuset d’un melting-pot multiracial où s'agitent une foule de personnages que Christos Tsiolkas observe en entomologiste sadique: les adultes vaquent à leurs destins ordinaires: sexe, coucheries, fric, ecstasy et autres....laissant leurs enfants-rois, scotchés jusqu’à plus soif devant des écrans de télévision et des vidéos.

Le roman commence et finit par une gifle, dans un quartier résidentiel de Melbourne, une belle journée d’été, où famille et amis ont organisé un barbecue. Alors que les enfants entament une partie de cricket, une dispute éclate et dégénère en bagarre. C’est alors qu’Harry, un adulte, gifle un enfant de quatre ans qui menace son fils avec une batte de cricket.

Petite cause, grands effets…cette gifle banale provoque une puissante onde de choc: chacun prend parti et la gifle devient le révélateur qui met à mal les hypocrisies et les faux semblants de cette nouvelle bourgeoisie australienne. Education des enfants, racisme, jalousie, misogynie, alcoolisme, violence, homophobie…le vernis d'une société qui s'affiche comme un miracle de métissage et de tolérance, craque. Entre solitude et sombres compromis chacun se replie sur sa famille, sa communauté, sa génération, au milieu d’un chaos moral et social complaisamment étalé sous la plume acide de Tsiolkas qui se délecte des travers de ses compatriotes: doutes, confusions, fêlures, compromis fragiles, petits secrets, gros mensonges…Certains se reconstruisent, d’autres se perdent entre heurts et malheurs d’une société australienne, géographiquement aux antipodes de la nôtre, et en même temps si proche qu’elle semble en être le cruel reflet dans le plus sombre des miroirs. Un livre-boomerang envoûtant et irritant sur la dégénérescence de notre civilisation qui rend urgente la lecture du livre culte de Stéphane Hessel : Indignez-vous !

 

** Christos Tsiolkas, La Gifle. Ed. Belfond, 480 p., 22 €

 

  

Retour parmi les hommes.

 

 

 Il y a dix ans, Philippe Besson réussissait un coup de maître en publiant En l’absence des hommes, un premier roman dans lequel Vincent de l’Etoile, jeune homme appartenant à la bonne aristocratie tombait amoureux d’un jeune homme mort au champ d'honneur en 14-18, et de Marcel Proust que la maladie emportera. Le succès du livre a été tel que l'auteur s'interroge: «On m'a souvent demandé ce que devenait Vincent. Moi-même, plus d'une fois, je me suis dit : quels chemins a-t-il empruntés, cet amoureux brutalement rendu à la solitude ? J'ai fini par trouver une réponse.»

 

 

Voici donc la réponse dans Retour parmi les hommes. Vincent a fui le monde, recherchant dans l'exil un baume à sa douleur, une fuite éperdue en des périples incertains et souvent misérables, en Abyssinie, sur les traces de Rimbaud, en Syrie, à Constantinople, en Grèce, avant d'échouer finalement dans la New York effervescente des années 20. Silhouette improbable et toujours en recherche d'oubli Vincent regagne en 1923 un Paris qu'il ne reconnaît pas. Pour tenter d'oublier l'hécatombe de la guerre, la capitale danse, s'étourdit et s'entiche du jeune auteur prodige du Diable au corps, Raymond (Radiguet) que Vincent va rencontrer dans un café. Divine surprise: le jeune homme semble être la parfaite synthèse de son amant disparu et de Marcel (Proust). C'est un être à part, précédé d'une sorte d'aura, qui saura redonner le goût de la vie à Vincent, et lui permettre un retour possible parmi les hommes ... jusqu'à ce que la malédiction vienne à nouveau frapper...

 

De phrases courtes en impressions fugitives, mort et jeunesse unies en une étreinte funèbre, Retour parmi les hommes, recèle les obsessions de Philippe Besson: l'empreinte terrible et violente de la douleur dévastatrice, l'absence au monde, le désespoir, la morsure du manque, l'incessant dialogue avec les disparus mais aussi, en des jours incertains, l'espoir d'un renouveau, la tentation de l’ailleurs, l’espoir d’une renaissance quand le désir renaît...L'essence même de la vie et de loin le livre le plus personnel et le plus touchant de l'auteur.

 

 

 Retour parmi les hommes. Philippe Besson. Ed. Julliard.213 pages.18.00€ .

 

 

 

-  FAUT-IL MANGER LES ANIMAUX ?

 

 

 

 Le livre est vert et compte un peu plus de 300 pages dérangeantes autour d’une question centrale: pourquoi l’homme est-il carnivore ? En posant cette question, et beaucoup d’autres!), l’essai polémique de Jonathan Safran Foer, véritable best-seller aux USA, ne cherche pas à convertir la terre entière au végétarisme mais au moins à attirer l'attention sur ce qu'il y a dans nos assiettes.

Mêlant souvenirs d’enfance, données statistiques et arguments philosophiques, interrogeant les croyances, les mythes et les traditions familiales et nationales, Jonathan Safran Foer s'est lancé lui-même dans une vaste enquête, notamment dans une usine d’abattage industriel où il découvre le bain électrique à l'arrivée dans les abattoirs, l'empilement d'animaux dans des espaces ridicules, des hangars ultra-sécurisés où perchent des milliers de volailles qui ne verront jamais la lumière du jour ...le bricolage de leur code génétique à des fins de productivité, leur surconsommation de médicaments "non-thérapeuthiques" (c'est-à-dire administrés de manière entièrement préventive), et aussi la "soupe fécale" où sont plongés les poulets morts et qui se retrouvera ensuite… dans nos assiettes...

En Amérique, 99% des animaux que l'on mange proviennent de ces fermes-usines, en France, 93 ou 94%. En Allemagne, 95 ou 96%. Des animaux qui n'en sont plus: " Ils ne sortent pas, ne se reproduisent pas et beaucoup doivent leur survie de mutants aux antibiotiques dont on les gave. Les animaux sont traités juridiquement et socialement comme des marchandises".

Manger de la viande pollue la planète, contribue à la dégradation climatique et à l’extension de la faim tout en ruinant nos santés. Alors? L’argent! Plus de fermiers, mais des managers d‘usines d’élevage préoccupés par cette seule pensée: comment gagner plus en dépensant moins? Et la situation du poisson n’est pas moins préoccupante: si l’on continue la pêche comme aujourd’hui, dans deux cent quarante ans il n’y aura plus de poissons sur cette planète.

Face à cette situation Jonathan Safran Foer esquisse quelques propositions dont la plus importante est la prise de conscience des consommateurs. Si les Américains mangeaient un plat de viande en moins par semaine, en termes de pollution cela reviendrait à supprimer six millions de voitures sur la route… «… Chaque fois que vous prenez une décision concernant votre alimentation, vous pratiquez l’élevage par procuration ». Encore fallait-il le savoir....c'est chose faite désormais....

FAUT-IL MANGER LES ANIMAUX ? (EATING ANIMALS) de Jonathan Safran Foer. Ed. de L'Olivier, 360 p., 22 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

Vivent les nonagénaires!

Coïncidence: deux ouvrages de nonagénaires, anciens résistants et collaborateurs de Mendés-France paraissent quasiment en même temps. Deux livres, deux voix, deux voies de sagesse. Tandis que Stéphane Hessel, bat des records en librairie avec Indignez vous en s'indignant d'un monde qu'il ne comprend plus, Jean Sérisé avec Requiem pour la planète bleue, sous-titré Brève histoire de la vie et des hommes, plaide pour la connaissance, et une nécessaire humilité.

 Indignez-vous !

 

À 93 ans. La fin n'est plus bien loin...nous dit Stéphane Hessel formé à la philosophie par Sartre, à la politique par Mendès France, au courage par le général de Gaulle. Né allemand en 1917, il choisira de Gaulle et la Résistance, et rescapé des camps nazis, sera l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme avant de participer à tous les grands moments de la vie internationale pour finir ambassadeur de France. En dépit de ce parcours exceptionnel il demeure non conformiste par hérédité (il est le fils de Franz et Hélène Hessel qui formeront avec Henri-Pierre Roché le célèbre trio de " Jules et Jim "), gardant intact à 93 ans, ses facultés d'indignation comme au temps de la Résistance. C'est que même si les raisons de s'indigner dans notre monde d'aujourd'hui peuvent paraître moins évidentes qu'au temps du nazisme, les motifs d'indignation ne manquent pas: l'écart grandissant entre les très riches et les très pauvres, l'état de la planète, le traitement fait aux sans-papiers, aux immigrés, aux Roms, la course au «toujours plus», à la compétition, la dictature des marchés financiers, la mise au pas des médias entre les mains des nantis,et jusqu'aux acquis sociaux bradés de la Résistance - retraites, Sécurité sociale...  «Un ensemble de principes et de valeurs sur lesquels reposerait la démocratie moderne de notre pays.». «On nous dit que l’Etat ne peut plus assurer les coûts de ces mesures citoyennes, s’insurge Stéphane Hessel. Mais comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée?». Il est urgent de s'indigner et de retrouver le sens du combat d’alors, même si les combats à mener désormais sont plus compliqués, voire parfois, contradictoires... Indignez vous, insurgez vous, l’important est, comme hier, d'agir en réseau : Attac, Amnesty, la Fédération internationale des Droits de l'homme... En un mot agissez! Un appel nécessaire et urgent aux consciences anesthésiées par les médias, résignées ou tentées par la violence, dans une époque déboussolée en quête de sens...Le fait même qu'il doive être lancé par un homme de 93 ans en dit long sur l'état de notre société!

** Indignez-vous ! Stéphane Hessel, Indigène Editions. 30 p., 3 €.

 

 

Émerveillez vous!

Jean Sérisé, autre nonagénaire, ancien résistant, l'un des pères de la comptabilité nationale en France et ayant assumé lui aussi les plus hautes responsabilités, n'est pas l'indignation mais plutôt dans l'optimisme et surtout le questionnement avec cette ambitieuse et éternelle interrogation : « D'où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ? » Pour tenter d'y répondre il propose de commencer par comprendre la vie dans toutes ses dimensions en s'appuyant largement sur le progrès scientifique puisqu'il constitue une donnée essentielle à la compréhension de la condition humaine. Une science qui nous révéle un Univers chaque jour plus étrange, sur lequel nous n'avons qu'une certitude : notre Soleil connaîtra le sort commun aux milliards d'autres étoiles: il flamboiera, puis s'éteindra. Toute vie cessera sur notre planète et peut-être, l'homme lui-même dont l'auteur nous rappelle l'improbable histoire: de la première cellule vivante, il y a 3,5 (ou 3,8) milliards d'années (une sorte de membrane sélective, apprenant à godiller avec un semblant de flagelle), à l'homo sapiens. Entre temps nos sociétés se sont constituées, non sans maintes difficultés, et sans ratés, révélant la nature contradictoire de l'homme /animal de meute, fait de chair et de passions, capable de décrypter le réel et de penser l'Univers. Un homme aujourd'hui à la croisée des chemins: survivra-t-il à la disparition de la planète qui l'a vue naître, s'élançant dans le vide cosmique pour rejoindre un autre système stellaire ? Ou parviendra t-il à cet état d'humilité et de courage que religions et philosophies appellent la résignation qui n'exclue pas l'espérance?

Pour sa part, Jean Sérisé choisit de rester résolument optimiste, mêlant habilement informations scientifiques vérifiées, jeux de langage, poésie et satire, assortis de nombre de remarques piquantes sur l'évolution de notre monde, il réussit quasiment à donner à son récit le charme d'un conte enfantin. Quelle fraîcheur, décidément, chez nos grands nonagénaires!

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Requiem pour la planète bleue. Jean Sérisé. Ed. De Fallois. 347 pages, 22 €.


Le cercle des poètes disparus

En l'espace d'une semaine la littérature a perdu deux grandes plumes, deux grandes voix, deux poètes.

 

Andrée Chédid, décédée à 90 ans était l'auteur d'une vingtaine de recueils de poésie. Poète de Double pays, titre d'un de ses recueils (née en Egypte elle vivait en France). Elle concevait son art comme l'expression d'une vie intérieure et d'un rapport au monde.

 

Edouard Glissant vient de mourir à Paris à l'âge de 82 ans. Considéré comme l'un des fils spirituels d'Aimé Césaire il était entré en littérature par la poésie il y a près de soixante ans et se définissait toujours comme « un jeune poète ». L'anthologie de la poésie du Tout-Monde (2010) aura été son dernier ouvrage reprenant l'idée que les cultures et civilisations sont en contact les unes avec les autres.





































































 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



05/02/2011
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