juin 2009

juin 2009



Découvrir Jean Prévot.
 Accusé à tort de vol par ses amis parisiens, Dieudonné Crouzon, étudiant brillant, et impécunieux se réfugie à Châteauroux où il se mue bientôt en notable de province. Il  révolutionne la distribution des journaux, acquiert  une imprimerie, diffuse des almanachs, invente la réclame murale, dirige le club de sport, et finit même par se marier! qui ne s'aimait guère jouit de la reconnaissance et de la considération de son prochain, même si celui-ci ne se montre guère exigeant. En suivant 'ascension sociale de son personnage, Jean Prévost évoque le monde du journalisme, de la publicité et de l'édition des années 1930. Un monde qu'il connaissait fort bien puisque le journalisme l'avait nourri lui-même et sa famille grâce à la production de nombreux articles sur l'architecture, la philosophie, l'érotisme, le cinéma, le sport, la politique, la morale… Un éclectisme de bon aloi salué par Jérôme Garcin, biographe de ce brillant écrivain, auteur d'une trentaine de titres (et trop tôt disparu dans le Vercors, les armes à la main, à l'âge de quarante-trois ans), qu'il a tenté de d'un injuste (*). Parmi ces titres certains ont été consacrés à Stendhal qui devait durablement influencer Jean Prévot. C'est sans doute la raison pour laquelle, « Le Sel sur la plaie », publié dans la France des années 30, celle des  Nizan, Arland, ou Drieu, autobiographie romancée d'ascension sociale dans une France provinciale, évoque irrésistiblement le « Julien Sorel » de Stendhal. Quel plus beau compliment pour un auteur et une oeuvre à redécouvrir d'urgence ?

*Le sel sur la plaie. Jean Prévost. Ed. Zulma. 280 pages. 18 euros.

(*)Essai pour Jean Prévot. Jérôme Garcin. Prix Médicis essai. Hors Série littérature, 1994, Ed. Folio n° 3257.




Un portait inspiré d'une famille singulière en Cornouailles

Les tableaux d'une exposition, dernier ouvrage de Patrick Gale rassemblent non seulement les œuvres mais aussi les vêtements emblématiques de la célèbre Rachel Kelly, artiste peintre bohème et excentrique qui vient  de décéder brutalement. Chacun de ces tableaux  introduit un chapitre du roman de Patrick Gale permettant au visiteur de découvrir l'univers d'une femme  fascinante, artiste passionnante et passionnée, parfois excessive.  Mère et épouse prédatrice cette femme possédée par son art laisse derrière elle une famille déchirée dont Antony, un homme exceptionnel, père et époux, soutien indéfectible, et souffre-douleur attitré de l'artiste lors de ses poussées dépressives. Et des enfants, qui très tôt, ont dû composer avec la maladie et la personnalité de leur mère talentueuse, passionnée, entière…L'exposition dévoile les multiples facettes de l'artiste qui se refusait toujours à parler de son passé : de famille, énigmes non résolues, amours douloureuses, phases de dépression et de création, esquissant ainsi un portrait de la vie de famille précis et  mystérieux.  Sur ce canevas de facture classique le texte oscille entre gravité et légèreté, douceur et amertume, sensibilité délicate et drôlerie. Fidèle à la tradition littéraire britannique Patrick Gale en repousse les limites en transcendant ce portrait familial par une réflexion inspirée l'art, et ses rapports étroits entre génie et douleur.
*Tableaux d'une exposition. Patrick Gale. Editions Belfond. 360 pages, 21 euros.




Voyage au bout d'une nuit…

Responsable des bibliothèques de la Société littéraire et artistique du métro (Slam), Anne Secret publie « Les villas rouges », son  troisième roman noir (*) dans lequel le personnage principal, Kyra en fuite, toujours solitaire, est contraint à la clandestinité dans une errance interminable, entre recherche d'un amour disparu et quête d'identité. Après l'évasion d'un truand notoire, qui s'est soldée par la mort d'un policier elle se retrouve en cavale entre  l'Allemagne, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg.  Cette longue fuite commence sur  le littoral de la baie de Somme et ses vestiges d'un tourisme cossu, à présent délaissés comme l'est la jeune femme, seulement reliée au monde par quelques coupures de presse. Afin d'échapper aux recherches, elle se livre à un jeu de cache-cache épuisant émaillé de déplacements incessants et de planques successives. Autant de refuges provisoires en des lieux improbables, générateurs d'angoisse, entrecoupés de brefs retours à la vie normale. Entre sentiments de culpabilité et identités successives mal assumées, la raison de la jeune femme se met à vaciller précipitant sa chute finale dans l'abîme. De la fugitive on n'apprendra que peu de choses si ce n'est quelques repères autobiographiques minimums émaillant discrètement le texte. Anne Secret a choisi de s'éloigner du roman noir classique et de ses profils psychologiques sommaires pour se rapprocher de Simenon et de ses descriptions minutieuses de lieux où s'agitent des personnages poursuivis inexorablement  par leur destin. Le résultat ? Un implacable voyage au bout d'une nuit individuelle sans espoir de rédemption dans lequel notre bibliothécaire-auteur excelle à entraîner insensiblement son lecteur par la puissance d'une écriture singulièrement épurée.
* Les Villas rouges. Anne Secret. Editions du Seuil. 190 pages. 17,50 euros.
** L'Escorte 2005 (Fayard) et Mort à Lübeck 1998 (Actes Sud-Babel).



Trois vies en impasse…

« La succulente au fond de l'impasse », dernier livre d'Anne Bragance est un récit à trois voix autour d'une histoire partiellement commune aux points de vue différents.  « Succulente »,  Emma de son vrai nom, vit fond d'une impasse, lieu symbolique de sa vie et de celle des autres personnages. François, immobilier en mal de clients et d'affection des siens rencontre , « La Succulente », prostituée de son état. Ces deux solitaires noueront une relation platonique. Emma écoute les confidences de François et l'initie à la botanique puis se confie avant de disparaître brutalement, léguant à François les mystères du lieu et de la femme ainsi que… ses cactées…Vient ensuite le récit d'Emma collectionneuse d'hommes s'adonnant  à l'amour comme d'autres à la boisson, sans retenue ni excès. Auparavant alors vierge farouche, elle s'est mariée et s'est crue frigide dans les bras d'un mari brutal et volage. Une rencontre un soir avec un homme décidera de sa vocation de prostituée non vénale, partageant avec délice ses nuits dans les bras d'inconnus. Son amour véritable ira à Bénédicte son amie, atteinte d'un mal irréversible. Communiquant difficilement avec autrui, Bénédicte, elle aussi mal mariée, accouchera d'un fils mort-né et plongera dans un désespoir profond qu'Emma tentera d'adoucir. Elle recrutera  une gouvernante, Clémence, avec laquelle Bénédicte vivra une relation ambiguë… Trois personnages, trois vies. Pour Anne Bragance l'important n'est pas tant ce qu'ils vivent que la manière dont ils vivent leurs blessures intimes de l'âme entre culpabilité,  ressentiments et désillusions successives. Sans pathos inutile elle poursuit une  œuvre célébrant le chant des passions humaines trop souvent contrariées par l'intrusion d'un hasard funeste…
* Une succulente au fond de l'impasse. Anne Bragance. Ed Mercure de France. 153 pages.



Une exigeante recherche du temps perdu
Francis Huré a été ambassadeur de France dans plusieurs pays. Son premier roman, « Le Consulat du Pacifique » a obtenu le Prix Gazes. Dans son dernier ouvrage «  Et la peine est toujours là »,  il aborde un thème subtil sous  forme d'une poignante enquête au cœur de la mémoire du narrateur, Thomas. Qui était vraiment Lucia, sa fille adoptive, volontairement marginalisée qui s'est suicidée sans donner de raisons ? Il interroge sa mémoire et s'aperçoit qu'elle est incertaine, lacunaire, toujours prompte à réécrire, chaque jour et chaque nuit  différemment, l'histoire de Lucia. «… La vérité prend plaisir aux glissades. Gardons nous de lui donner raison. » Patiemment il examine chaque élément de souvenir qui se présente à lui, puis le récuse. Bien plus, en présence de la confession laissée par sa fille, contenant, sans doute, l'explication de son énigme, il la détruit délibérément, préférant conserver de l'histoire de sa fille quelques souvenirs plus conformes à l'idéal d'une enfance revisitée. » Tu ne vois pas ta fille, tu l'inventes » lui répète t'on. Quelle est donc l'empreinte exacte laissée par un être dans la mémoire d'autrui ? Passionnante et essentielle question à laquelle, avec lucidité, élégance et retenue, François Huré tente de répondre en pénétrant dans les arcanes des états successifs de nos relations intimes. Une entreprise difficile qu'il convenait de relever et de saluer.
* Et la peine est toujours là. Francis Huré. Ed. De Fallois. 193 pages. 18 euros.



L'âge d'homme…

D'abord bien regarder la photo couverture du livre. Une femme sur la plage, épaulant son petit garçon sans le toucher, une photo célébrant les retrouvailles entre une mère et son fils,  c'est le fil conducteur du livre d'AAggoune, Rêve 78. Le récit de la déchirure de l'absence: séparé de sa mère par un exil imposé par son père, « un monstre », Hervé Babel est déraciné de sa France et de sa langue. Il va passer deux années en Algérie auprès d'une famille inconnue, une famille sans affection, ignorant tout de sa langue maternelle. séparation est le traumatisme fondateur qui va pousser Hervé vers l'écriture et la lecture. L'amour de la littérature et des femmes, et en premier lieu de sa mère, la absente, dont l'auteur n'aura de cesse de traquer les mystères, obsédé par mots : « être heureux au-delà du malheur, parce que la vie est là, en soi ».  Une absence qui est aussi le moteur de la construction de l'homme qui médite sur son nouveau statut de père nourrissant une écriture fonctionnant à la manière d'un révélateur, un émouvant journal intime dont l'évidente sincérité émeut totalement le lecteur.
*Rêve 78. Afid Aggoune. Ed. Joelle Losfeld. 64 pages. 9,50 euros.



Malédiction en pays bigouden…

 Au printemps 1913 Jouvet, jeune femme parisienne, secrète et de surcroît  guérisseuse, est engagée comme domestique au château de Kervadec, en plein pays bigouden dans une Bretagne dont elle ignore tout.  Au service de la comtesse de Kervadec,  femme malade et fragile dont elle devient l'amie, Elise subit l'hostilité générale des domestiques. La Comtesse intimement persuadée qu'une malédiction plane sur les Kervadec l'aide à surmonter tous les obstacles avant de la jeter dans les bras de son mari, Lucien, (bientôt mobilisé en 1914).  Elle meurt en faisant de la jeune femme sa légataire ce qui ne fait qu'aviver les intrigues et les haines contre Elise qui, dès lors, va vivre l'enfer... Subtilement plongé par Eric Le Nabour, dans cette atmosphère étrange et mystérieuse le lecteur subit avec délice l'envoûtement d'un récit  solidement enraciné dans les croyances les plus profondes de la Bretagne que l'auteur, en historien émérite, se réjouit de faire connaître et partager.
*Les Ombres de Kervadec. Eric Le Nabour. Ed. Presses de la Cité. Terres de France. 348 pages. 19,90 €.



Blues à Macao.

 Adriano Carreira, journaliste et écrivain amateur en pleine crise de la cinquantaine découvre la vacuité de sa vie et décide après un suicide manqué d'accepter au début des années 1990, un poste à Macao où il va mener une vie plus que confortable, totalement indifférent à un monde asiatique qu'il côtoie pourtant au quotidien. Un coin d'Asie au é inconnu vivant dans l'appréhension souriante de sa prochaine réintégration dans la Chine communiste. Sur cette toile de fond de l'effondrement du dernier empire colonial, Adriano va se retrouver brutalement plongé dans une affaire de meurtre qui l'amènera à sortir de son habituelle indifférence au monde qui l'entoure pour lutter pour sa propre survie. Malgré les apparences il  ne s'agit pas ici d'un roman noir mais d'un texte, écrit à la manière d'un roman d'aventures des années 1930 par un dandy anglais totalement indifférent au sort du monde qui l'entoure, un monde qui le poussera, insensiblement, sur la grève de l'Histoire.
 
*Les mangeurs de perles. João Aguiar. Ed. Editions Métailié. 214 pages. 17 euros.




Thriller viral…

 Voilà un livre dont la lecture, l'actualité aidant, est des plus instructives. En 1939, dans l'île de Wight un jeune médecin menant une vie agréable, est mobilisé par l'officine secrète de propagande créée par Winston Churchill pour enquêter sur les véritables causes de la grippe espagnole qui, fit en 1918, plus de morts que la guerre. Une grippe suspectée d'être issue d'un programme de guerre bactériologique allemand ou japonais. Au cours de son enquête qui l'entraînera de Londres à Shanghai le jeune homme découvre que le scientifique à l'origine de la création de ce virus ne serait autre que son propre père qu'il admire tant. A la fois roman d'aventures et d'espionnage Influenzaacquiert ainsi une dimension initiatique. Il est le premier ouvrage d'un jeune auteur, chercheur en immunologie qui risque d'être fort sollicité en ces temps de pandémie galopante.
* Influenza. Eric Marchal. Ed. Anne Carrière. 460 pages. 21,50 euros.
 




Zazie enfin dans le métro !

Les éditions Gallimard viennent de rééditer en poche le chef-d'œuvre de Raymond Queneau, "Zazie dans le métro". Un Queneau, ami de la RATP qui, reconnaissante, lui a dédié une  station de métro. On retrouve dans cette réédition son héroïne, Zazie, petite nymphette au caractère impossible, qu'on ne présente plus et que Louis Malle a su si bien faire vivre sur   grand écran avec ses jeux de mots, ses mots-valises et son langage loufoque parfois déconcertant. Un ton rafraîchissant, léger et joyeux, qui prouve que pour faire de la bonne littérature il n'est pas forcément nécessaire d'écrire sérieusement des choses graves.Et qui l'intéresse Zazie ? Le métro qu'elle visite enfin cette édition du cinquantenaire,grâce à la publication de deux fragments du premier manuscrit, intitulés « Zazie vraiment dans le métro ». Une bonne occasion de retrouver la gamine et ses mots barbares si joliment importés du quotidien des autres.
* Zazie dans le métro. Raymond Queneau. Ed. Gallimard. Folio.263 pages. 12,95 euros.




Gare à la caste !

Six mille hommes dirigent six milliards d'êtres humains forment une caste qui détient l'essentiel du pouvoir sur notre monde. Dirigeants politiques, économiques, managers des multinationales et de la finance mondiale, magnats de la presse et des médias, mais aussi oligarques russes, mercenaires privés américains, rois de la finance et  du web, commandos terroristes, dirigeants du Pentagone, des mafias et des Églises…Tous dirigent, plus ou moins directement nos vies et influent sur notre manière de penser. Une caste désormais affranchie des règles édictées par les États-nations,  riche et  influente dont le pouvoir ne connaît nulles limites grâce à la mondialisation.
Sophistication technologique, brutalité, avidité, excès…Les membres de la Caste exercent un pouvoir polymorphe régnant sans partage sur la politique et l'économie mondiale même s'ils subissent la crise financière qui élimine certains d'entre eux.  S'adapter ou disparaître, tel est le nouveau dilemme posé à ces privilégiés…Gageons qu'ils s'en sortiront plutôt mieux que le menu peuple qui subit la crise !

* La caste. David Rothkopf. Ed. Robert Laffont. 330 pages. 21 euros.




Inventaire d'un monde à feu et à sang…

Le XIX ème siècle a été celui de révolutions. Le XX ème siècle celui des guerres, pas un jour n'est passé sans que les armes ne parlent pour des motifs les plus divers.Guerres mondiales, totales, d'annexion, de conquête, de décolonisation, idéologiques, ethniques…Guerres…guerres…. L'Atlas Des Guerres de Pierre Vallaud en présente un panorama exhaustif à travers l'espace et le temps en plus de 100 cartes intelligemment commentées et analysées. Autant de zooms sur des qui ont mis le monde à feu et à sang.  Pourquoi ? Où ? Quelles étaient les belligérants ? Quelles en furent les conséquences ? Voici un inventaire exhaustif d'un siècle guerrier qui vit s'embraser l'humanité entière et un précieux outil documentaire au service d'une réflexion d'autant plus nécessaire qu'il n'est pas certain, hélas, que ce XXI ème siècle fasse beaucoup mieux !

* Atlas Des Guerres. Pierre Vallaud. ED. Acropole. 120 pages.25 euros.



01/07/2009
0 Poster un commentaire