février 2012

 

 

 

 

 

 

entre politique et morosité...

 

 

Deuxième rendez-vous annuel de l'édition, la rentrée littéraire d'hiver apparue seulement il y a une dizaine d’années, est devenue un temps fort de la profession au même titre que la rentrée d'automne ou le Salon du livre. Plus de pression des prix, plus de compétition automnale...mais une plus grande visibilité et des médias plus attentifs. Place aux lourds du monde des lettres : Sollers, Pennac, Onfray, Jauffret et autres… tous hors-compétition pour des prix souvent déjà obtenus.

Un arbre qui cache la forêt: globalement les éditeurs ont allégé leur programme de fictions avec 5,5 % de romans en moins par rapport à l'an dernier. Parmi les 480 œuvres de fiction annoncées, on compte 311 romans français (dont 55 premiers romans) et 169 romans étrangers, soit le plus bas niveau de ces sept dernières années. Crise oblige: les Français achètent moins de livres et les libraires et éditeurs ont bien des soucis d'inquiétude: hausse de la TVA, concurrence du livre numérique et probable trou d’air pré-électoral synonyme de ralentissement, voire de gel des ventes, malgré la publication de nombreux ouvrages de politique-fiction...

Parmi les ouvrages publiés en littérature française ou étrangère, de belles et fort belles surprises...En littérature française deux ouvrages de deux auteurs majeurs qui ne sont pourtant pas parmi les plus connus : ceux d' Alain Julien Rudefoucauld et d'Antoine Volodine avec deux livres forts et singuliers, qui détonnent fortement dans un  paysage littéraire français à l'inspiration fort éloignée de celle de la littérature américaine dont les auteurs, par delà des sensibilités, des styles et des univers très différents ont tous en commun de se montrer plus que critiques à l'égard d'une Amérique qui ne les fait plus rêver. Parmi les cinq ouvrages présentés ici, retenons en particulier ceux de Justin Torres et Bruce Machart,  deux premiers romans, pour deux coups d'essai  qui s'avèrent être d'emblée, deux coups de Maîtres...


 

 

 

 

 

 



  La chasse à l'enfant....

Dans les rangs du « Dernier Contingent »:  Manon, Malid, Xavier, Sylvie, Thierry et Marco....Quatre garçons, deux filles,six ados bordelais,un même destin: passé décomposé, futur hypothétique, présent chaotique - bagarres, coups, agressions  physiques et verbales, fugues à répétition...

 

 A chacun son passé et son histoire: Sylvie est la fille d’un gendarme suicidé , Xavier  se passionne pour les « meules », Marco fuit les colos peuplées de moniteurs pédophiles, Malid tourne des pornos familiaux, tapine et s'éprend de Manon, elle aussi tapineuse, entre  parkings déserts et partouzes bourgeoises...
Dans le livre d'Alain Julien Rudefoucauld tous s'expriment avec leur subjectivité, leur vécu et surtout leurs mots qui se mêlent, s'entremêlent, et se bousculent parfois en d'incessants monologues accordés au cours parfois capricieux de leurs pensées. Entre rage, colère, ennui et violence, ces mots résonnent cruellement dans le vide d'une société démissionnaire sans  perspective, ni projet, dans laquelle l'Etat, la justice, la police, les éducateurs, la famille, les parents, sont incapables de pallier aux carences d'une société amorale, indifférente et inégalitaire, dévorée par les ravages de l'avidité galopante et du fric ostentatoire...
Alain-Julien Rudefoucauld, romancier (et également auteur de théâtre explorateur de la dramaturgie des limites), va offrir à ce récit de douze semaines de noirceur absolue une extraordinaire caisse de résonances, où le son s'enfle progressivement pour devenir flot impétueux mêlant rage, colère, violence et ennui en phrases courtes, crues et brutales, mixant la langue inhabituelle des exclus et la formidable rumeur d'un quotidien aux prises avec l'obscénité et une certaine barbarie. Au plus fort de ce flot porté par une écriture ciselée et puissante à laquelle notre littérature ne nous a guère habitué, le lecteur vacille, surpris et ébahi, subjugué par tant d'humanité si miraculeusement révélée.
« Le ­Dernier Contingent » d'Alain Julien Rudefoucauld est sans nul doute, l'une des divines surprises de cette rentrée...A lire toutes toutes affaires cessantes!

« Le Dernier Contingent », d'Alain-Julien Rudefoucauld, éd. Tristram, 501 p., 24 €

 

Alain-Julien Rudefoucauld sur france Culture:
http://www.franceculture.fr/oeuvre-le-dernier-contingent-de-alain-julien-rudefoucauld

 

 

 

 

 

 

 

 

      

     La danse de l’éternel retour.


Connaissez vous le monde de Bassmann/Volodine? Après "Des anges mineurs", signé Volodine (prix du livre Inter 2000), "Danse avec Nathan Golshem", signé Lutz Bassmann, offre au lecteur l'occasion d'une passionnante intrusion dans un univers romanesque défiant le tragique, l’Histoire, la mort des idéologies et celle des dieux. Nourrie d'une réflexion sur l'histoire du 20 ème siècle ses exterminations, ses massacres et l'échec des révolutions, l'œuvre de Volodine plonge le lecteur dans un monde effarant et macabre, entre ruines et prisons souterraines où des rescapés vaincus et hantés par le passé, s'inventent des univers féeriques, poétiques, fantasques et bouffons.

Comme chaque année, Djennifer Goranitzé se rend vers le déconcertant sépulcre de son mari disparu – un monticule de pierres sans dépouille, surmonté de quelques os d’animaux. Arrivée à destination, elle entame une étrange danse de magie noire pour convoquer et échanger avec son disparu des souvenirs de guerre et de captivité. Des échanges en phrases rythmées entre dérision, tendresse, parcourues de violence, anecdotes sordides, proses fantasques, ritournelles, et énumérations incongrues (guerres perdues, liste des maladies présentes au sein des camps prisonniers etc....). Une multiplication des niveaux narratifs qui permet à Volodine de rendre compte d'un monde chaotique, entre profusion,  confusion, manipulation et terreur...
 
Car Lutz Bassmann n'est en effet, que l'un des nombreux hétéronymes d'Antoine Volodine, créateur d'un univers romanesque, très singulier dans le paysage de la littérature française. Puisant très largement aux sources de tous les genres littéraires, entre mémoire et réalité, imaginaire et souvenir, Volodine en a énoncé les règles en 1998 dans Le Post-Exotisme en dix leçons, leçon onze. Par le truchement d’écrivains imaginaires des personnages emmurés dans la catastrophe produisent entre onirisme, psychiatrie et politique: une littérature de l’ailleurs qui va vers l’ailleurs. Un univers que le lecteur décode avec sa propre mémoire et sa sensibilité, retrouvant au fil des ouvrages, des systèmes logiques et idéologiques en des espaces identiques. Parfois déconcerté au seuil d'un univers si particulier, le mieux pour lui est de se laisser envouter par l'écriture poétique et quasi hypnotique de Volodine, écrivain majeur de notre littérature, en quête d'un « livre testament » après lequel il pourra se taire. Fort heureusement ce livre est encore à venir !
* DANSE AVEC NATHAN GOLSHEM. Lutz Bassmann. Ed. Verdier, 192 p., 16 €.

 

 

  

 

                

 

 

                                  L'enfance.....une jungle?

                                 
«On en voulait encore. On frappait sur la table avec le manche de nos fourchettes, on cognait nos cuillères vides contre nos bols vides; on avait faim. On voulait plus de bruit, plus de révoltes. On montait le son de la télé jusqu'à avoir mal aux oreilles à cause du cri des hommes en colère.... on était des frères, des garçons, trois petits rois unis dans un complot pour en avoir encore.»
Dès la première phrase de « Vie ani­male », Justin Torres empoigne le  lecteur de ce court roman de 150 pages retraçant en quelques épisodes marquants une vie familiale chaotique. Une manière nouvelle et singulière d’évoquer l’enfance, la famille, et les souvenirs, les  sensations brutes: amour, haine, colère, faim, peur et insécurité, mais non sans plaisir ni euphorie fugitifs.  Le titre original du roman, « We the Animals », privilégie le  «on» ou «nous» dont le narrateur va s’affranchir  pour enfin pouvoir dire: « je »,  séparant ainsi son histoire et son identité, devenues singulières, de celle demeurée indistincte, de ses frères.
Vie animale de trois frères, trois chiots affamés, impatients, vindicatifs, toujours livrés à eux-mêmes mais indéfectiblement unis en meute, blottis les uns contre les autres ou s'entredéchirant parfois, toujours unis dans la survie au sein d'une jungle urbaine ou familiale, entre crises conjugales et manque d'argent. Ce sont les observateurs privilégiés et attentifs des accès de colère ou de tendresse de parents qui se déchirent depuis qu'à 14 ans la mère est tombée enceinte d'un père, à peine plus âgé, et qui depuis tentent de survivre et d'élever leurs  enfants, comme ils peuvent, entre expédients et petits boulots. Une mère, petite et blanche, protectrice,  nostalgique, en perpétuel décalage horaire avec sa famille en raison de son travail. Un père, porto ricain, violent, aimant,rustre et imaginatif à la fois, qui perd ses boulots, frappe sa femme, et disparaît plusieurs jours de suite...  Une famille particulière où l'on s’aime sans savoir ce qu'est aimer, et dont on suit les tribulations au fil de chapitres à la tonalité incisive et mélancolique, telle une suite de nouvelles plurielles d'où émerge peu à peu la personnalité du narrateur qui va se singulariser par son amour des livres et sa découverte finale du monde de l'homosexualité entre solitude et incompréhension.
Une trajectoire teintée d'autobiographie de l'aveu même de son auteur, qui revendique en creux la fierté d'avoir accompli un parcours peu commun,  admirablement restitué en une langue simple et crue transcendée par l'éclat d'images poétiques aux couleurs vives. Une fresque puissante pour ce premier roman de Justin Torres, justement salué aux Etats Unis  comme l'un des évènements de la rentrée littéraire...
* Vie animale. Justin Torres. Trad. Laetitia Devaux. Ed. De L'Olivier, 144 p., 18 €.

 


 

 

 

 

 

                           

                       Le long sillage de l'oubli...

 

 

D'une famille l'autre... Sur ce même thème, Bruce Machart, nouvel auteur US prometteur, livre un premier roman, fort éloigné de l'univers de Justin Torres avec « Sillage de l'oubli », une mythique saga familiale où, sur fond de nature violente et sauvage, les secrets familiaux et les rivalités fratricides, accordent la rudesse des sentiments à la dureté de la vie. Un livre à l'univers brutal et désespérément sombre, sur fond de paysages grandioses, qui semble tout droit sorti d'un univers romanesque d'un Faulkner, et plus encore d'un Cormac Mc Carthy, édité dans la collection « Nature Writing » de Gallmeister, l'éditeur, entre autres, de David Vann ou Ron Carlson...

 

 

Nous quittons donc Brooklyn pour le comté de Lavaca au Texas, en 1895 où, par une nuit sans lune,Vaclav,émigré tchèque et propriétaire ambitieux, perd sa femme, seul bonheur de sa vie, lors de la naissance de leur quatrième fils, Karel. Devenu sans cesse plus austère, froid, violent, et bourru Vaclav élève désormais seul ses quatre fils, qu'il traite comme des bêtes de trait, réservant toute son attention et ses efforts à ses chevaux et à l'agrandissement de son domaine. Un espoir, un rêve, qui le conduisent à accepter un pari fou avec un propriétaire espagnol, dont l'enjeu est sa fortune et l’avenir de ses fils: une course de chevaux que devra gagner Karel, qui, privé d'affection, et se sentant coupable de la mort de sa mère a concentré sa sensibilité et son émotion sur son cheval.

Trois décennies lui seront nécessaires pour surmonter cette culpabilité et pardonner à sa famille, au terme d'un cheminement moral et psychologique parfois complexe, Bruce Machart ayant intercalé la jeunesse de Karel et sa vie d'adulte à différentes époques. Cette structuration aère un récit d'une puissance narrative peu commune, chaque mot, chaque phrase participant à la compréhension de ce premier roman qui mêle inextricablement, colère, souffrance, haine et rédemption, lui conférant ainsi une puissance extraordinaire. Un premier essai transformé par un jeune auteur en passe de devenir un Maître!

 

 * Le sillage de l’oubli. Bruce Machart. Traduction Marc Amfreville, Ed. Gallmeister, 344 p., 23,60 €.

 

 

 

 

 

   Super drôle...super pessimiste...super tendre...

L'époque ne porte guère à l'optimisme comme en témoignent deux romans d'amour de deux auteurs américains désespérés face au déclin du monde. Le premier "Richard Yates" de Tao Lin est l'histoire d'une relation banale d'une génération perdue vécue à travers le web, le second "Super Triste Histoire d'Amour" de Gary Shteyngart, une singulière histoire d'amour et l'autoportrait mélancolique, ironique et tendre, d'un homme en décalage avec son temps.


Gary Shteyngart, né en 1972 à Saint-Pétersbourg, émigré aux Etats-Unis à 7 ans, a connu des problèmes d'intégration, dont témoignent ses premiers romans: « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes Russes » et « Absurdistan » salués par la critique US. Son dernier livre Super triste histoire d’amour met en scène une Amérique en voie de désintégration, usée par: «la fatigue de l'échec imposé à un pays qui ne croyait qu'au succès».Une Amérique ayant renoncé à la domination mondiale, supplantée par la Chine, sous le joug d'une dictature militaire contrôlant, grâce aux réseaux sociaux, les moindres faits et gestes de ses citoyens. Nous ne sommes pas loin du « 1984 » d'Orwell, les individus étant ici leur propre « Big Brother », tous accrochés à leurs « äppäräti », des téléphones ultra-perfectionnés, qui savent et disent tout de vous...Une société dans laquelle médias, crédit, publicité triomphent et où la littérature est réservée à quelques inadaptés. Parmi ceux-ci , le héros du livre, Lenny Abramo, américain, juif, d’origine russe, possesseur singulier d'un «mur de livres», persiste à penser, réfléchir, lire et même écrire son journal intime. Bientôt amoureux d'une jeune américaine d'origine coréenne, tous deux vont tenter, à leur manière, de conserver un minimum de dignité dans ce monde saccagé. Hélas, ils ne vieilliront pas ensemble...
Une super triste histoire d'amour dans un étrange nouveau monde, écrite par un super talentueux Gary Shteyngart qui, entre amour et haine, espoir et effondrement, oscille sans cesse entre un jargon très « Facebook » et la sentimentalité profonde de la littérature russe. Un métissage culturel assumé:«C’est ainsi que nous vivons, passant constamment d’un sujet à un autre, d'une langue à l'autre: en mêlant des mots anglais, coréens, yiddish, français, italiens... des textes: journaux, lettres, extraits de roman, messages et SMS....
Le résultat est ce roman inclassable et magistral qui, entre Tolstoï, Orwell et Kundera, capte ironiquement l'essence même de l'évolution de notre monde, son humour grinçant laissant place peu à peu, à une mélancolie souriante puis à une gravité finale nimbée de tendresse.  


* Gary Shteyngart, Super triste histoire d'amour, trad.Stéphane Roques, Éd. de l'Olivier, 410 p., 24 €.

extrait en pdf:

http://www.mediapart.fr/files/Christine%20Marcandier/_760__SUPER_TRISTE_HISTOIRE_07-09.pdf 

 

 

 

 

            

            Une américaine en colère.

Lionel Shriver, bien qu'américaine n'est décidément pas tendre avec l'Amérique. Après le très grand succès d' « Il faut qu’on parle de Kevin », portrait d'une mère confrontée à la monstruosité de son fils,  elle s'attaque à présent aux carences du système de santé américain avec “Tout ça pour quoi” où elle aborde sujets les plus dramatiques: la maladie, la  mort, et les failles d'un système de santé qui oblige les classes moyennes à s'endetter lourdement pour prendre soin des leurs...
 
Longtemps persuadé que l'argent "faisait l'homme", Shep en a gagné beaucoup avant de se mettre en tête de quitter un pays« tombé sur la tête » . Ayant vendu son entreprise pour s’installer à Zanzibar, il ne lui reste plus qu’à l’annoncer à sa femme en espérant qu’elle l’accompagne. Las! Celle-ci lui annonce qu'elle est atteinte d’un cancer très rare nécessitant un traitement expérimental hors de prix. Son cancer va alors instantanément supplanter son rêve d'évasion. Et le couple dévasté va découvrir tout un monde: celui des soignants et des médecins, vendeurs d'espoirs illusoires qui ponctionnent le couple en prétextant« qu'étant donné l’enjeu, l’argent n’est pas un problème ». Voici donc Shep condamné à « acheter la vie de Glynis, jour après jour, une pelletée de dollar après l’autre », sans pouvoir compter sur des assureurs qui se révèlent être de véritables et inutiles « sangsues ».

Licencié et ruiné, Shep devra puiser dans le pactole de Zanzibar pour financer le traitement expérimental. Son regard change, il se rapproche de Jackson, son meilleur ami, père d’une adolescente affligée d’une maladie rarissime et incurable, qui comme lui, veut s'évader de ce pays : « attrape-couillon », « enfer » et « miroir aux alouettes ». Pendant ce temps, de rémissions en rechutes, Gladys va de plus en plus mal et sa lutte contre son cancer s’annonce sans espoir. Quel sera donc le prix à payer pour prolonger sa vie de trois mois?Et en définitive, quel est le prix de la vie dans un pays où la sécurité sociale est inexistante et où liberté individuelle, démocratie, égalité ne sont plus que des mots creux?
Ainsi résumé le récit de « Tout ça pour quoi » peut sembler déprimant. Il n'en est rien, car la romancière américaine parvient à traiter des sujets les plus dramatiques de l'existence avec beaucoup de vitalité et surtout un humour décapant. Entre colère à peine contenue et empathie profonde pour ses personnages elle excelle à décrire la subtilité de leurs émotions et de leurs humeurs entre désespoir profond et ironie. Jusqu'à la révolte finale:  Shep finira par faire un bras d'honneur à tout et à tous. Un "Allez vous faire foutre" qui aurait pu être le titre du livre de colère de Lionel Schriver, un "fuck you book" lucide et revigorant!  
* « Tout ça pour quoi ». Lionel Shriver. Ed. Belfond. Trad. Michèle Lévy-Bram. 540 p. 23,00 €.

 

 

 


 Vae victis...

La dissection du jeu social et de ses faux-semblants est la thématique préférée des livres Sibylle Grimbert qui tous traquent l'impitoyable cruauté des rapports humains. Son dernier ouvrage ne fait pas exception: « La conquête du monde », est le récit drôle et féroce de la chute sociale et existentielle, à la fois absurde, loufoque, et quasi inexplicable, d'un homme à qui tout réussissait.

 

Soit la métamorphose quasi kafkaïenne d'un certain Ludovic,  jeune loup brillant et ambitieux, en Don Quichotte de notre ère libérale et mondialisée. Historien prometteur devenu brillant avocat, soudain pour lui, tout bascule. Perdant peu à peu foi en lui-même, il sombre, s'étiole et dépérit dans une dépression morbide, une fin quasi imprévisible à ses velléités d'ascension professionnelle et  sociale. Gaffeur et maladroit le voici bientôt absorbé par une absurde spirale de l'échec enclenchée par son divorce. Et en dépit de ses vaines et tardives interrogations rien ne brisera la spirale de la dégringolade désormais amorcée...  

Comment vivre désormais? Tout se dérobe, rien ne marche: la tentative de séduire pour récupérer son ex-femme échoue et ses amis s'éloignent, lassés de son attitude désagréable ou ridicule. Devenu odieux, grotesque,  jaloux de ceux qui ont réussi, Ludovic demeure d'abord combattif et persuadé de se conduire avec la plus grande des habiletés, alors qu'il accumule gaffes et maladresses. Jusqu'à ce que, finalement résigné, il songe à créer une communauté de « losers ». Las! Ses prévisions d’échecs s'avèrent elles-mêmes être des échecs ne lui laissant bientôt d'autre choix que de se murer dans un silence absolu et définitif.
La perception de Ludovic est ainsi devenue progressivement très différente de son entourage et ….de celle du lecteur.
Ce décalage grandissant permet à Sibylle Grimbert d'écrire, entre légèreté et gravité, et surtout avec un humour omniprésent et caustique, ce véritable roman de l'incompréhension où, faisant preuve d'une grande finesse psychologique, elle dissèque, impitoyable, avec jubilation et ironie, mais non sans indignation et émotion, les arcanes  psychologiques de son personnage aux prises avec une société impitoyable, sans égards ni pitié à l'encontre de ceux qui ne parviennent pas à en décoder les règles rigides et les conventions implicites... Malheur aux vaincus!

* Sibylle Grimbert. La conquête du monde. E. Léo Scheer. 307 p. 19 €.



31/01/2012
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