mars 2009

mars 2009



Une brève danse entre deux vides immenses…

Pour un coup d'essai c'est un coup de maître ! Steve Toltz, australien de 37 ans, finaliste du prestigieux Man Booker Prize,  débarque en Europe avec son premier roman, Une partie du tout,  livre-labyrinthe, un gros pavé regorgeant d'interrogations métaphysiques et politiques au service d'une ambition démesurée: tout dire de notre monde et ses habitants en une véritable odyssée couvrant quatre décennies et trois continents.
En prison, pour combler son ennui, Jasper écrit l'odyssée de sa famille fantasque, et après redites, approximations, hésitations se décide à écrire sur son père, Martin Dean, génie autodidacte, fou et méconnu qui s'est brûlé les ailes en voulant sortir de l'ombre de son frère Terry, moderne Robin des bois local. Un père qui a élevé Jasper en reclus, sous sa très haute surveillance intellectuelle…Une influence durable : en terminant son livre Jasper se sent encore manipulé par cet homme dépressif, génial et destructeur pour lequel la vie est une comédie douteuse, "une brève danse entre deux vides immenses »…Avant d'en prendre  son parti en décidant : de se  foutre de la réalité du monde. Son histoire avance alors au rythme des crises paternelles, des rencontres, de consternants projets visant à « rendre millionnaires tous les Australiens », d'un pathétique Manuel du crime rédigé par un attardé, d'amours lamentables, de situations grotesques et d'une apocalyptique échappée en Asie. Dans ce chaos savamment maîtrisé chaque anecdote, chaque rebondissement est une histoire en soi, une partie d'un tout dans lequel alternent dialogues humoristiques lapidaires, descriptions marathoniennes, interrogations métaphysiques, plaisanteries grivoises et coups du sort. Un dynamitage stylistique  au service d'une perpétuelle recherche du sens de la vie. Derrière la farce la gravité, derrière l'absurde, la profondeur, et derrière ce débordement rabelaisien de vie l'omniprésence de la mort.  
*UNE PARTIE DU TOUT . Steve Toltz .  Ed. Belfond.  504 pages. 23 € -



Et ce monde étrange continue de tourner…

Trois générations cohabitent sous le même toit. La fille ne se remet pas de son divorce, la  petite fille porte le deuil d'un jeune homme qu'elle a aimé, et le père, August Brill, critique littéraire en retraite, handicapé, se crée, pour écarter ses irs douloureux, de douloureuses histoires en ses nuits sans sommeil. Il se construit donc un monde parallèle,  proche et divergent du réel, dans lequel il plonge son personnage, qui n'est autre que lui-même, en pleine guerre civile américaine. New York revendique son indépendance et les attentats du 11 septembre n'ont jamais eu lieu. La mission de son héros est d'éliminer le responsable de tout ce chaos : un homme prisonnier de son fauteuil roulant et de ses souvenirs, qui s'invente des histoires la nuit ! Une construction telle le mythe platonicien de caverne dans laquelle plusieurs réalités coexistent parallèlement, et dont chacune est êvée ou imaginée par un habitant d'un autre monde. Entre ces mondes les personnages vont et viennent, égarés entre réalité et fiction, inventions, rêves et vrais souvenirs.  Mais qu'importe…Pour Paul Auster seul compte le regard porté par les êtres, sur ce qui les entoure leurs mots, leurs images qui rendent, seuls, compréhensible le monde qui les entoure. Un  regard aussi réel que la réalité elle-même. Entre imaginaire et réel l'auteur, profondément engagé dans le tissu historique et social de son époque, jette des ponts entre des mondes parallèles et propose sa propre vérité. Et avec ce nouveau roman foisonnant, explore tous les chemins de la création romanesque pour dire la barbarie des hommes et la dérive de l'impérialisme américain.
* Seul dans le noir.  Paul Auster. Ed. Actes Sud. 192 pages. 19,50 €.



Un linceul de mots…

« J'ai déchiré le texte de Claudel en tout petits morceaux. Les ai laissés tomber dans la terre de sa tombe. J'enveloppais de mots ma mère disparue. Mon Dieu qu'il faisait beau. C'est fini. C'est fini. A sa mère, Xavier Houssin offre des mots. Un récit, un hymne d'amour murmuré,  passé et présent  indissolublement mêlés en un même amour, un immense chagrin. Un admirable requiem pour des jours du temps. Achevet de sa mère,  la nuit, dans une chambre d'hôpital entre perfusions et masque à oxy­gène le narrateur évoque ce qui fut leur vie d'autrefois. Son enfance de fils unique et adoré d'une mère,ancien sous-lieutenant à   Saigon ou elle a rencontré «son seul amour», un officier supérieur, déjà marié et trop tôt disparu. Puis Nord,  la Normandie, la petite maison de Senlis, les souvenirs partagés: petits bonheurs quotidiens partagés, virées en autocar à Paris entre grands magasins et musées, à Arras, la mer toujours et les chalutiers s'estompant à l'horizon sur la jetée de Granville… Souvenirs vacillants qui s'estompent déjà, confidences murmurées, appréhension de l'absence : « Je t'aime et j'ai très peur de ce qui nous attend ». ôt le corps endormi ne se réveillera plus. Le passé commence dans un présent douloureux : les obsèques, la cérémonie religieuse,  la foule recueillie, les derniers mots éparpillés sur le cercueil. Des mots encore, ceux d'après, le livre: des mots justes, sans ni apprêt, tout en justesse et en émotions contenues. Des phrases courtes souvent dépourvues de verbe, de très brefs chapitres aux bouleversantes qui renvoient le lecteur à sa propre douleur mouillant ses yeux insensiblement…
* La mort de ma mère. Xavier Houssin. Ed. Buchet-Chastel. 121 pages. 12 €.
A lire aussi le journal de Xavier Houssin consultable sur internet :  http://www.xavierhoussin.com/




Les mots contre la mort

Essai ou Mémoires Rien à craindre de Julian Barnes est un exercice de méditation volontairement distancié sur la mort, dont le titre paradoxal est emprunté à son propre journal de jeunesse. Il revient aujourd'hui sur le sujet qui le tourmente depuis l'enfance: Quelles que soient nos idées ou nos illusions, la  morttranche et conclut, sans ambages ni remords…  la ligne de partage, passe moins entre les croyants et les incroyants qu'entre ceux qui craignent la mort et ceux qui ne la craignent pas. Au gré de ses réflexions, Julian Barnes interroge alors, médecine,  théologie et littérature, fouille dans son propre passé avec son frère, le philosophe Jonathan Barnes, s'apercevant que leurs souvenirs ne coïncident pas. La mémoire est décidément trompeuse. même : lorsque Julian affirme : «Je ne crois pas en Dieu mais il me manque», l'aîné répond avec une moue: «guimauve». Julian Barnes se tourne alors vers Montaigne : à défaut de vaincre la mort, on peut la combattre en l'ayant constamment "en la teste", puis vers Goethe, qui prétendant l'ignorer n'en avait été pas moins pris d'une frayeur et d'une agitation extrêmes en la voyant approcher. Rien n'y fait. Nulle consolation. Car la mort, Barnes y pense : "au moins une fois chaque jour", elleterrifie qui n'est soutenu par aucune foi : Je ne crois pas en Dieu, mais il me manque…Même une hypothétique après vie n'est guère plus rassurante, et d'imaginer: "la fureur de l'athée ressuscité" qui, après son trépas, se retrouverait dans une autre vie...Ses seules consolations : la littérature, l'amour des mots et le roman car : "La fiction utilise des mensonges pour dire la vérité et la vérité pour dire des mensonges." Définition du roman qui n'est pas sans évoquer le célèbre : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité », chère à Cocteau.
*Rien à craindre. Julian Barnes .Ed. Mercure de France, 302 pages. 23 €.



Autour de l'Histoire

Un demi-siècle d'Histoire russe ...
Nous voici loin du Testament français, qui valut à Andreï Makine, les prix Goncourt et Médicis. Sa vision idéalisée de la France et de sa culture vole en éclat dans La Vie d'un homme inconnu, Illusions perdues d'un écrivain d'origine russe, Choutov, ex dissident, en recherche de ses idéaux de jeunesse. Très affecté par sa séparation d'avec Léa, Rastignac littéraire en jupons, Choutov vitupère contre le milieu littéraire parisien et les travers du  monde littéraire contemporain. Sa nostalgie du Tchekhov des bons sentiments le ramène à un amour d'il y a trente ans qu'il retrouvera à Saint Petersbourg  mariée, mère de famille, fort riche et branchée, dans une Russie s'évertuant à singer l'Occident. Celui-ci découvre alors, indigné,  que : sa patrie ne coïncide pas avec un territoire mais avec une époque. Nostalgique il évoque ces russes, désormais inconnus, qui subirent les tyrannies de l'ère soviétique honnie, meurtrière,  ces hommes et femmes dont les amours et les paroles sont désormais perdus et qu'il convient coûte que coûte sauver de l'oubli.  Dépositaire de cet immense héritage humain menacé de disparition Makine ambitionne, comme Dostoïevski, de le sauver par la beauté transfigurant ainsi l'amertume initiale du roman en une épopée d'un demi-siècle d'histoire  russe et d'histoire universelle ...
*La Vie d'un homme inconnu. Andreï Makine. Ed. Le Seuil. 294 pages. 21 €.



Résistance…
La Fille du carillonneur est un grand roman 'amour écrit par un romancier talentueux à sa ville natale, Rouen, en 1944 sous les bombardements. trame romanesque, très autobiographique, met en scène un jeune résistant de 19 ans, pris en charge, après une poursuite par la Gestapo, par Joana, 15 ans, la fille du carillonneur, qui le cache dans les combles de la cathédrale. De cet observatoire rêvé résistant à loisir les sites stratégiques de la ville. Joana devenue bientôt orpheline les deux jeunes gens s'aident et s'aiment dans l'attente du message désiré : « Les sanglots longs des violons de l'automne…». Mais acours d'une action de sabotage, Patrice est capturé, emprisonné et torturé le donjon de Jeanne d'Arc, (devenu, ironie de l'Histoire, siège de la Gestapo). Maé une démarche audacieuse de Joana auprès du chef de l'Abwehr, il sera déporté en Allemagne et Joana ignominieusement dénoncée comme collaboratrice à la Libération. delà du récit de cette émouvante histoire d'amour, l'ouvrage de Jean Jacques Antier, évoque ses personnels pour livrer un émoignage poignant sur la Résistance et le quotidien des Rouennais de l'Occupation à la Libération. Un livre auquel nous souhaitons le même succès que celui de son précédent roman : Tempête sur Armen, dont nous avions rendu compte ici.

*La fille du carillonneur. Jean-Jacques Antier .Ed. Presses de la Cité. 312 pages. 19,50 €.




…Ou collaboration ?

L'action de la police française sous l'Occupation fut loin d'être glorieuse : collaboration assumée sans états d'âme, rafles du Vel d'Hiv, traque des juifs, des résistants… Courage, lâcheté, héroïsme. Le pire et le meilleur voisinent au hasard du dépouillement de milliers de dossiers d'archives ont permis à Jean-Marc Berlière de remonter aux sources de l'action policière. Relatant maints faits méconnus, cet ouvrage concessions ni faux-semblants met à mal nombre d'idées reçueset propose une réflexion objective autour de la lancinante question des responsabilités. Certes, sous la III ème République, rien n'avait préparé les policiers à l'idée d'un devoir de désobéissance, mais au quotidien jusqu'où accepter de suivre les ordres reçus? Suivre l'exemple de certains policiers résistants qui ont su appliquer les instructions officielles pour mieux dissimuler leurs activités clandestines? Ou devenir ces "flics" sinistres issus des Brigades spéciales, devenus fers de lance de la répression contre les "communo-terroristes" ?  Chacun renvoyé à sa propre conscience, pouvait méditer à loisir la phrase de Sartre : l'homme n'a jamais été aussi libre que sous l'Occupation.

*Policiers français sous l'Occupation. Jean-Marc Berlière. Ed. Perrin. Tempus.465 pages. 10,50 €.



L'Amérique : état des lieux

 «Rien n'a changé depuis Pearl Harbor, Je laisse un héritage de cendres à mon successeur.»  écrivait  Eisenhover en évoquant  la CIA. Des cendres en héritage,c'est aussi le titre de l'ouvrage de Tim Weiner. De sa création en 1947 à sa remise en question au lendemain de guerre en Irak en 2003, il passe en revue les épisodes marquants de la CIA contre le communisme, puis contre le terrorisme. Echec sur toute la ligne : l'agence n'a jamais réussi à infiltrer les Russes durant la Guerre Froide, et s'est écartée ensuite sa mission initiale, en renversant les gouvernements élus, puis en son soutien aux ennemis des ennemis de l'Amérique en des conflits parmi les plus longs et les plus sanglants du siècle. Plus récemment, elle a contribué à provoquer la guerre en Irak,  en affirmant, à tort, que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive. En fait, si la CIA souvent échoué à prévenir les crises des 60 dernières années, c'est parce qu'elle ne disposait, lors des crises graves, d'aucun renseignement de première main  en raison de son éloignement du terrain.  Tim Weiner, lui connaît son sujet. Prix Pulitzer pour son travail d'investigation sur le financement de la recherche dans le domaine de la défense et de l'armement en 1988, il s'est appuyé sur une somme considérable d'archives et d'entretiens auprès des employés et responsables de l'Agence.  Son livre se lit comme un excellent polar même si l'on rit parfois jaune à la lecture de la description des absurdes mises en scène de la CIA.
* Des cendres en héritage. Tim Weiner. Ed. De Fallois. 543 pages. 23 €.




Fiers d'être américains ?

Romancier et journaliste-reporter au Nouvel Observateur, où ont été publiés les excellents articles réunis dans L'Amérique m'inquiète et Jusque-là tout allait bien en Amérique,Jean Paul Dubois est un excellent connaisseur des Etats-Unis. Ecumant iats, hôpitaux, tribunaux, églises et bars, il y côtoie toute la faune ordinaire d'un pays qui fascine et répulse à la fois. Et livre à notre réflexion quelques chiffres éloquents : 211 millions de citoyens détenteurs d'armes à feu qui font  38OOO victimes par an ; 150 000 élèves armés ; des armureries aussi nombreuses que les stations d'essence, 80% des citoyens favorables à la peine de mort, 2500 personnes dans les couloirs de la mort… Une Amérique malade de violence, de sexe et d'argent. Sordide au point de pouvoir racheter les assurances-vie des malades en phase terminale, puritaine au point de d'envoyer son voisin devant les tribunaux sous un fallacieux prétexte d'harcèlement. Une Amérique de patriotes auto-proclamés, tous  "fiers d'être A-mé-ri-cains !" Oui, l'Amérique nous inquiète, et d'autant plus qu'elle ambitionne de modeler le monde à son image. Avec le concours de notre hyper Président, il y a du souci à se faire !
*L'Amérique m'inquiète. Jusque-là tout allait bien en Amérique. Jean-Paul Dubois. Ed. Points Seuil. 265 pages. 7€. et 411 pages. 7,50 €.




L'Amérique d'Obama...

L'élection d'Obama à la présidence américaine annonce un changement en profondeur des Etats-Unis et de leur image. Dans Etats-Unis, les défis d'ObamaBarthélémy Courmont, spécialiste de la politique américaine, analyse les enjeux de la nouvelle administration,  politique intérieure et crise économique tout d'abord. Et très vite politique étrangère :  désengagement progressif d'Irak, renforcement de la présence militaire en Afghanistan, positionnement sur le conflit israélo-palestinien….  Sans oublier la restauration de l'image de Washington dans le monde, auprès de ses  alliés, mais aussi auprès de ses ennemis (dossiers nord-coréen et iranien notamment), et une participation accrue à la gestion des enjeux internationaux :  réchauffement climatique, gestion des ressources énergétiques, développement durable. Des choix du nouveau président dépendront en grande partie l'avenir de la place des Etats-Unis sur la scène internationale.Le mérite de cet  très accessibleest de permettre de mieux cerner les enjeux réels qui sont ceux de l'Amérique de demain et donc, les nôtres.
*Etats-Unis, les défis d'Obama. Barthélémy Courmont. Ed.Le Félin. 154 pages.13,90 €





30/03/2009
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