rentrée littéraire septembre 2014

Rentrée 2014

Découvrir de nouveaux livres, de nouveaux auteurs...En voici un choix, comme toujours subjectif, parmi les 607 romans de la rentrée 2014, un choix toujours difficile, car pour lire tous les romans de cette rentrée littéraire, il faudrait à un lecteur moyen 14 780 jours, soit environ 40 ans. Mission impossible mais toujours avec de grands bonheurs de lecture !

 

Romans français

 

Un incontournable de cette rentrée littéraire.

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Comme dans son précédent livre : "Là où les tigres sont chez eux »»  couronné par le Prix Médicis 2008 le dernier livre de Jean-Marie Blas de Roblès : « L’île du point Némo » mêle savamment dans un fantastique roman-univers une fiction encyclopédique, entrechoquant codes romanesques, littérature populaire, passé historique et projections dans le futur, cauchemars et rêves. Une littérature totale à la manière de Borges dans laquelle les niveaux de lecture s’unissent et s’entrecroisent dans des mondes gigognes confrontant l’esprit aux plus grands des mystères.

Dans ce livre des livres, le point Némo. évoque l’endroit de l’océan le plus éloigné de toute terre. Une île imaginaire, perdue dans le temps, une  « Utopie » propice au rêve, à l'invention, où il est loisible de se tromper ou bien de dire la vérité.

Résumer l'intrigue s'avère également utopique. Disons qu'elle commence avec le vol d'un diamant jaune fabuleux, l'Anankè, dans le château écossais d'une chic Lady dans lequel Martial Canterel, riche dandy aristo et opiomane de surcroît, interrompt sa passionnante reconstitution de l'antique bataille de Gaugamèles pour se lancer, en compagnie de son vieux complice John Shylock Holmes à la poursuite de l'odieux voleur du diamant, l'Enjambeur Nô. Une poursuite qui les mèneront bientôt, entre autres, à bord du transsibérien, en compagnie de la victime, Lady MacRae, et sa fille Verity. La narration de ces aventures est confiée à un lecteur à voix haute, également inventeur d'histoires dans une fabrique de cigares où il divertit ainsi les cigarières jusqu'à ce que la vénérable manufacture fasse faillite pour devenir, Ô symbole, une usine de liseuses numériques dernier cri !

S'ensuit une haletante enquête feuilletonesque dont la forme – narration, intrigues, chapitrage - semble droite sortie d’un classique du XIXème siècle, à la manière d'un Jules Verne qui aurait emprunté à différents genres: polar, Science-fiction, aventure, poésie, pastiche, biographie, faits divers, énumération de titres d'ouvrages. Un texte qui, de clins d'œil, en rebondissements multiples et coups de théâtre, accumule les situations absurdes, déroutantes et superpose des histoires à plusieurs niveaux de lectures. Une écriture subtile au texte ponctué d'inserts satiriques ou bien encore de maximes absurdes au fronton des chapitres, pour mieux brouiller les pistes et les hiérarchies usuelles entre réalité et fiction.C'est toute l'originalité de ce roman-fleuve qui tel un tsunami furieux emporte sur son passage toutes les habituelles conventions littéraires, pour proposer une incisive réflexion sur l’art littéraire, et plus encore, une critique acerbe des idéologies et de la gouvernance anonyme et tentaculaire, qui nous aliène jusque dans notre intimité.

Beaucoup plus qu'un livre, ce roman est une aventure littéraire, une singulière expérience de lecture, bref, un incontournable en cette rentrée littéraire...

**  L’île du point Némo. Jean-Marie Blas de Roblès . Ed. Zulma. 460p. 22,50. 

 

 

« Ecrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres ».

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Dans les œuvres de Linda Lê biographie et œuvre sont étroitement mêlées. Née en 1963 au Viêt-nam, elle suit sa famille lorsque la guerre éclate, et s’installe à Saïgon en 1969. La jeune fille poursuit ses études en français et s’éprend de sa littérature. En 1977, elle quitte le Viêt-nam avec sa mère et ses sœurs, et arrive au Havre, ville qui est précisément la toile de fond de son dernier livre : « Œuvres vives ». Son narrateur masculin y est bouleversé par la lecture du roman d’un inconnu, Antoine Sorel (!), qui a vécu toute sa vie dans cette ville portuaire. Écrivain singulier et quasi inconnu sauf de quelques rares initiés son oeuvre empreinte de noirceur et de pessimisme, subjugue rapidement notre narrateur...Las ! Sorel disparaît le lendemain de cette découverte. Le narrateur décide alors de devenir son biographe enquêtant sur sa vie, en une véritable descente aux enfers sur fond de décor de la ville reconstruite, imaginée par Auguste Perret. Chemin faisant en se projetant dans la figure de l’écrivain, notre narrateur réalise qu'il se trouve ainsi à un moment décisif de sa propre vie de créateur. Il s’attache alors à retrouver ceux qui ont connu Sorel, et retrace l'histoire de cet homme, issu d'un père et d'un grand-père, vietnamien exilé en France ayant renié son ascendance annamite pour fournir de la main d’œuvre en métropole. Un père qui éprouve de la haine envers ce fils dissident des valeurs familiales, fréquentant les bas-fonds hâvrais afin d'y assumer sa condition d’écrivain maudit. ...et dont les seuls amis sont des compagnons de beuverie…Émerge ainsi le portrait d’un homme qui ne vivait que pour l’écriture dont, Linda Lê s'abstient néanmoins soigneusement de nous livrer le moindre extrait, pour édifier ainsi sur le silence de ce double littéraire, sa propre œuvre en gestation traversée de profondes réflexions sur la littérature, le rapport au temps, la solitude, et le sens des origines. Ses Œuvres vives témoignent ainsi de son inextinguible passion pour les Lettres, les « œuvres vives », parties immergées de la création à l'image de la coque d’un navire demeurant sous l’eau, par opposition aux « œuvres mortes », visibles par tous....c'est à dire le superficiel, le vernis, ce que l'on voit ordinairement de la production littéraire sans rendre compte des indicibles tourments qu’elle engendre, pourtant indissociables de la naissance des grandes œuvres. Suit une citation de  Blaise Cendrars dans L’Homme foudroyé :  » ...écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres ».

Ainsi bourré de références littéraires, dans un français précis et économe jusque dans ses effets baroques ce roman est d'abord celui de la ferveur et de son pouvoir de résurrection, d'une œuvre et d'une ville, Le Hâvre, ici porte des Enfers, et ville de perdition d'où sourd mystérieusement une profonde et persistante nostalgie des profondeurs...

** Œuvres vives. Linda Lê. Ed. Christian Bourgois .335 p. 17 .

 

Destin brisé...

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Après treize romans traduits en quarante langues, dont  La délicatesse, son plus grand succès, David Foenkinos nous surprend avec un sujet empreint de noirceur, fort éloigné des sujets de ses précédents livres. « Charlotte », son dernier ouvrage constitue en effet une inflexion notable dans son œuvre, tant par son sujet : la vie dramatique de Charlotte Salomon, artiste peintre morte enceinte à Auschwitz, à 26 ans, que par sa forme : des phrases très courtes qui ne dépassent pas une ligne pour un roman en vers libres dont aucun n’excède la largeur d’une page.

Auteur d’une œuvre solitaire et singulière, composée de 1 325 gouaches Charlotte Salomon aurait pu connaître le succès si elle n'avait pas vécu sous le joug de l'Allemagne nazie. Née dans une famille juive, son enfance est marquée par le suicide de sa mère et l’exclusion progressive de toutes les sphères de la société. Elle se réfugie alors dans le dessin et parvient à intégrer les Beaux-Arts de Berlin malgré sa judéité. La nuit de Cristal la contraint à fuir. Elle part alors rejoindre ses grands parents sur la Côte d’Azur, où déracinée, perdue, elle se lance dans la composition d’une oeuvre picturale autobiographique « pour ne pas devenir folle ». Deux années plus tard, l’œuvre est achevée. Elle rencontre alors Alexander et se marie mais quelques semaines avant le débarquement Charlotte, enceinte, est dénoncée et déportée. Elle aura eu le temps de confier ses peintures à un médecin, en lui disant : « C’est toute ma vie » : une oeuvre (conservée au musée juif d’Amsterdam) composée principalement de gouaches avec trois seules couleurs primaires, qui racontent son enfance, sa vie et la tragédie de sa famille et qui intègre textes et poèmes. C'est ce destin brisé, cette vie saccagée et si riche de promesses qui ont fasciné et attristé David Foenkinos pour l'écriture de ce livre, le portrait saisissant d'une femme exceptionnelle, et l'évocation d'un destin tragique. Mais aussi le récit de sa propre quête : une longue et obsédante recherche des moindres parcelles de vie, de souvenir et de mort de son héroïne qui l'a amené à visiter les lieux, à rencontrer descendants et témoins et à se pencher sur ses dernières directives, pour rassembler ainsi les clés de la compréhension d'une vie et d'une œuvre qui demeurent, hélas, d'une brûlante actualité...

** Charlotte. David Foenkinos. Ed. Gallimard. 221 p. 18,50 .



 

 

Combien vaut sa propre vie ?

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A l'approche de la quarantaine un assureur qui fait profession de chiffrer par contrat la vie des autres s'interroge :combien vaut sa propre vie ? Lui qui estime et indemnise la vie des autres, va s'intéresser à la valeur de la sienne et à la celle des êtres et des choses qui peuplent ce roman en trois temps et plusieurs lieux... Que vaut donc une vie humaine?

Chaque chapitre débute par le prix d'une vie en terme de dédommagement d'assurance mais cette cynique évaluation laisse place à une interrogation profonde et souvent nostalgique sur la valeur de la vie de chacun des personnages par delà leurs lieux de vie et leurs conditions respectives. Avec une attention particulière au monde de l'adolescence et à ses promesses qui n'est pas exempt de dangers...Recourant à des mots justes pour provoquer le désir Grégoire Delacourt applique à la littérature son savoir-faire de publicitaire mais dans un registre singulièrement plus grave que dans ses précédents romans, qui lui permet ainsi de rendre compte des peurs les plus profondes enfouies en chacun d'entre nous. Au final, un roman très touchant « sur la violence de nos vies et la force du pardon », et sans doute son meilleur livre.

** On ne voyait que du bonheur. Grégoire Delacourt. Ed. Jc Lattés 360 p. 17 .

 

Romans étrangers

 

Le sel de la vie...

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Ancien pilote de l’US Air Force, vétéran de la guerre de Corée, le romancier américain James Salter, publie son premier roman en 1956 et démissionne de l'armée pour se consacrer à l'écriture. Longtemps qualifié de pornographe, « d’écrivains pour écrivains », puis « d’auteur le plus sous-estimé de tous les auteurs sous-estimés », il est devenu un romancier culte parfois comparé à Vladimir Nabokov pour son style, au lyrisme coloré se singularisant par son thème de prédilection : l'évanescence de toutes choses, ou l'exaltation d'un romantisme sans cesse confronté à une terrible lucidité.  Il nous revient en pleine forme à 89 ans, avec ce roman : « Et rien d’autre », ou le récit d'une vie consumée lentement, depuis la guerre jusqu'aux années 1970.

Un roman sans histoire à proprement parler, ni d’intrigues secondaires, ni même de rebondissements, ou d’émotions bouleversantes qui auraient été vécues par ses personnages ordinaires. Plutôt la narration de moments dans la vie de Philip Bowman qui en est le véritable fil conducteur. Démobilisé de la Marine en 1945, Bowman n'a pas connu son père avocat. Après Harvard il devient directeur littéraire dans une petite maison d'édition, rencontre Vivian, riche héritière sudiste, qui va changer sa vie, ils se marient mais n'étant pas du même monde, divorcent. Notre héros fera d'autres rencontres, séduira d’autres femmes, tombera amoureux, sera trahi et trahira à son tour. Bref, quarante années de la vie vie ordinaire d’un homme aux repères chronologiques expédiés au détour d'une phrase avec parfois, de discrètes références autobiographiques. Quatre décennies prétextes pour l’écrivain à peindre le tableau d'une époque, sa culture, ses mœurs, le paysage new-yorkais de l’édition, et les spectres de toute une génération, sa gloire et ses échecs hantée par quelques silhouettes entrevues : Norman Mailer, Truman Capote et leur éditeur, Joe Fox.. Certaines scènes savoureuses se déroulent à Paris...Et c'est tout ? Oui.... »rien d'autre » :  « All that is ». Ou l'ordinaire de toute existence, avec ses orages désirés, vécus ou imaginés pour vainement tenter d'échapper à la monotonie et la platitude du quotidien pour finalement s'y résoudre avec plus ou moins de bonne volonté. En somme une expérience humaine semblable à tant d'autres dont Salter a réalisé un subtil et impressionniste tableau, tout en finesse et en lumières discrètes…Un art : la poésie du quotidien en mille petite choses....le sel de la vie ?

 

** Et rien d’autre.  James Salter . Ed. L’Olivier, 365 pp., 22 €.

 

 

 

L'emprise des médias...

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Avec pour seules armes du papier et de l’encre de Chine, Javier Mallarino, célèbre caricaturiste politique colombien est un dessinateur redoutable et redouté par tous : il peut faire tomber un magistrat, renverser un député ou abroger une loi.

A soixante-cinq ans, séparé de sa femme depuis plusieurs années, il s'est retiré dans les montagnes proches de Bogotá. Un jour, au terme d'un vibrant hommage qui lui est rendu par son pays, une jeune femme l’approche pour solliciter une interview qui le ramènera vingt-huit années en arrière, en une soirée lointaine et enfouie dans sa mémoire, un véritable « trou noir » dans son existence dont les circonstances le contraindront à reconsidérer sa place dans la société au terme d'un douloureux examen de conscience. Juan Gabriel Vásquez, l'un des auteurs les plus prometteurs de la littérature latino-américaine nous livre avec ce conte poignant autour de l'héritage de la peur dans un pays en quête de son âme, une profonde réflexion sur les dérives redoutables de l'emprise grandissante de l’opinion et des médias dans leur volonté d'abolir toutes frontières entre vie privée et vie publique...

** Les réputations. Juan Gabriel Vásquez. Ed. Du Seuil. 188 p. 18 .

 

Karachi avant l'islamisme

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Le monde n'a pas de fin, est le premier roman de Bilal Tanweer, jeune écrivain pakistanais, également traducteur et poète. Dans cette véritable ode à Karachi il refuse qu'elle soit réduite à la violence en nous donnant à la voir avant son islamisation forcée.

Grâce à l’évocation de trois figures, l’écrivain, un poète et un ami, dont il croise les destins dans des anecdotes, des flashbacks, des plans séquences, il nous conte sa ville dans une suite d’histoires ;comme une succession de courtes nouvelles. Toutes sont connectées les unes aux autres par les relations étroites ou occasionnelles, qu’entretiennent entre eux tous les protagonistes et surtout par le partage d' un événement tragique : l'attentat à la bombe qui a réellement eu lieu devant la Cantt Station, carrefour très fréquenté devant une gare de Karachi, le 29 décembre 2012. Contrairement à ses autres personnages, l’écrivain n'est pas présent sur le lieu de l’explosion, mais sa vie et surtout sa conception de l’écriture, vont s’en trouver changées. C'est en prenant cette ville par ses "fragments d’humanité", qu'il reconstitue un ensemble, une cohérence, une vie, un "tout" dessiné par petites touches, qui ne se révèle vraiment qu’à la fin au lecteur... Car » Nous ne sommes que fragments, et ainsi en va-t-il de nos récits. Les histoires vraies sont parcellaires. Tout ce qui est plus long est un mensonge, une fabrication«Avec ce premier roman virtuose Bilal Tanweer  témoigne d’une très grande maîtrise de construction et d'écriture, avec une langue simple et très travaillée qui rend tous ses portraits extrêmement vivants. Son roman qui a connu un grand succès aux USA et en Angleterre mérite d'être découvert en France.

** Le monde n'a pas de fin. Bilal Tanweer. Ed. Stock. 205 p.19 .



02/09/2014
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